Brèves

Le dernier verre de François Villon

06-07-2020

« Ung traict but de vin morillon,
Quant de ce monde voult partir.
»

Ce sont les deux derniers vers du Testament de François Villon, monument littéraire où aucun mot ne vient au hasard. Celui de « morillon » est attesté depuis 1283 ; il désigne une variété de raisin noir et tire son nom de la couleur more, maure, foncée… Le cépage est connu en Bourgogne sous le nom de pinot et dans l’Orléanais – énorme vignoble au Moyen Âge – sous celui d’auvernat.

À Paris au XVe siècle, le vin coule à flots. Les trois-quarts des terres cultivées d’Île-de-France le sont en vigne. La qualité est loin d’être au rendez-vous ; les vins, en majorité blancs, sont acides. Les manipulations sont fréquentes malgré les contrôles de la prévôté des marchands : on rajoute de la craie pour masquer l’acidité, on sucre avec du miel, on rajoute de l’eau. « Desmembrez soient à quatre grans chevaux, / Les taverniers qui brouillent nostre vin », s’emporte le poète.
Pourtant, certains vins se distinguent et abreuvent ceux qui peuvent les payer ; ils sont d’Argenteuil, de Chaillot et de Suresnes ou, de moindre qualité mais acceptables, d’Issy, de Vanves et de Vaugirard. Il y avait des vignes de morillons à Vaugirard (une rue en a gardé le nom).

Le vin de morillon est de consommation agréable : que Villon souhaite en boire à son dernier moment est compréhensible. D’autant que par sa couleur et son nom, ce vin s’associe bien à la mort. Villon aime à jouer sérieusement avec les mots : mort Villon et morillon. Boire, la seule chose à faire avant de mourir. Les gestes finaux du poète sont en tout cas déterminés. C’est du vin qu’il boit comme il en a bu autant que possible, loin de la « froide eau » de la prison de Meung-sur-Loire citée au tout début du Testament. C’est d’un trait qu’il le boit. C’est de sa volonté qu’il part, la vie ne lui est pas enlevée. Deux ans après ces vers, Villon, banni de Paris, disparaît ; on n’entend plus parler de lui. Il laisse son Testament, et comme dans le Nouveau Testament, le Christ à son dernier repas (« Buvez-en tous car ceci est mon sang », Matthieu 26.28), Villon partage avec nous son dernier verre de vie.

« Saichiez qu’il fist, au departir :
Ung traict but de vin morillon
».

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