La date de l’invention du vin jaune reste un mystère. Le seul élément tangible est le premier flacon de vin jaune (encore plein) qui a été vendu aux enchères de la Percée du Vin Jaune en 2011 pour la somme de 57 000 €. On peut clairement en remonter les traces jusqu’en 1774, et le nom du vigneron est Anatoile Vercel.
Sinon, les historiens n’ont que des conjectures, nées de l’analyse de rares textes. Il faut éliminer, peut-être, les mentions relatives à des vins issues de vendanges tardives, « après les premières gelées » (Dunod de Charnage, 1740), « après que les premières gelées ont fait tomber les feuilles » (Rozier, 1800) : le savagnin - dont la présence dans le Jura n’est attestée qu’en 1717 - doit être vendangé à maturité et, sur de bonnes expositions, il n’est pas trop tardif. C'est toutefois le cas de la bargine, cépage aujourd'hui disparu, qui était souvent complanté avec le savagnin. Il faut aussi éliminer les apparentements aux vins « de demi-liqueur » (Guyot, 1863) ou « de dessert » (Grimod de la Reynière, 1810) : le vin jaune est sec. Quant aux notations aromatiques, sans les exclure, elles sont évidemment sujettes à interprétation, comme le goût de « godron » (goudron ?) noté par l'historien Dunod de Charnage (1740)… Par contre, lorsqu’on parle de vin de garde ou qu’on cite un texte de 1768 selon lequel « par le seul effet du tems, les vins blancs ressemblent au bout de 18 ans à d’excellents vins de Cherès », on ne peut qu’être d’accord.
Le nom lui-même, « vin jaune », dû à sa magnifique couleur, n’apparaît pas de manière manuscrite avant 1800, et de manière imprimée avant 1822 (Sébastien Guyétant) ; il est repris par Jules Guyot en 1863 et Charles Rouget en 1897.
Le Jura n’a pas connu de vignoble « gallo-romain », sans doute parce qu’en l’absence de voie fluviale ou de grandes voies romaines les possibilités de débouché commercial étaient minces (le vignoble naîtra avec l'industrie salicole et les monastères)… On a découvert sur le territoire des amphores, mais elles pouvaient servir au transport d’huile ou de poissons. On a découvert - à Grozon - un fer à marquer les tonneaux, ce qui peut laisser penser qu’il y avait des approvisionnements en vins de cette manière.
Et donc ? On peut émettre une hypothèse, c’est que la naissance du vin jaune est… naturelle.
Les vins effervescents ont aussi une naissance naturelle. Un vin qui ne termine pas sa fermentation en raison du froid refermentera naturellement au printemps en dégageant du gaz carbonique, et éventuellement en faisant exploser une bouteille peu résistante… Le vin effervescent est apparu ainsi - naturellement - dans diverses régions comme Limoux, le Diois ou d’autres…
Autre procédé naturel bien que délicat : un tonneau laissé en vidange (le vin étant en contact avec l’air) peut tourner en vinaigre, mais le vin peut aussi se protéger en développant un voile de levures – un écosystème bien particulier qui lui donne aussi des arômes spécifiques et forts. Le vin sous voile est né.
A lire les études d’André Tchernia et de Jean-Pierre Brun sur « Le vin romain antique » et les expériences qu’ils ont mené au Mas des Tourelles à Beaucaire avec le vigneron Hervé Durand on constate divers points. Les vins sous voile ont existé à Rome où ils étaient appréciés : Columelle, en introduisant au cours de la vinification du fenugrec – dont l’un des composés aromatiques est le sotolon, une molécule du vin jaune qui ne sera identifiée qu’en 1976 – cherchait à reproduire le goût recherché du vieillissement sous voile. Les auteurs citent le poète Archéstrate de Gela, contemporain d’Aristote et auteur du poème Gastrologie : « il faut boire le vin vieux ayant tête toute chenue dont la liquide chevelure s’adorne de blanche floraison ». Ils citent aussi Ménandre qui parle de vin « déjà blanc » dans le Dyscolos, ou Ovide avec des vins qui « fleurissent » et dont « les voiles surnagent au sommet des dolia » (Fasti).
Ce phénomène bénéfique du voile de levures ne se produit qu'en de rares endroits du globe. Peut-être que le fait de ne pas avoir de vigne sur place, mais de se contenter de tonneaux importés dans lesquels on puise au fil de l’année, joint à la qualité particulière des caves aérées (plus adaptées que des caves humides) a créé dans le Jura ce miracle d’équilibre…
Mais bien sûr il y faudra surtout au fil des siècles le soin humain, l’amélioration continue, l’expérience, et des efforts vers une connaissance dont on voit qu’elle ne sera jamais totale..
1740, François-Ignace Dunod de Charnage, Mémoires pour servir à l’histoire du Comté de Bourgogne 1822, Sébastien Guyétant, Mémoire sur l’état de l’agriculture du Jura, les améliorations qu’elle a reçues et celles dont elle paraît susceptible 1897, Charles Rouget, Les vignobles du Jura et de la Franche-Comté, synonymie, description et histoire des cépages qui les peuplent