Les vins rosés canal historique

Article du 18-04-2018

Le vin rosé n’existe pas. En tout cas, il n’a pas de définition légale. C’est un vin dont la macération préfermentaire est courte, ce qui fait que le jus du raisin - foulé ou légèrement pressé - est peu en contact avec la peau des baies, et se colore donc plus ou moins faiblement. Le vin rosé n’existe pas, pourtant l’humanité buveuse de vin n’a quasiment connu que ça…

Dans l’Antiquité, on le nomme « vinum clarum », et le « vinum rubeum (rouge) » est rare. Au cours du Moyen-Âge et jusqu’au XVIIe siècle désigné sous le nom de clairet, cléret, claret, paillet, œil-de-perdrix… c’est le vin à être le plus largement consommé (à près de 90 %), et il est privilégié par l’aristocratie…

L’expression « vin rosé » n’apparaît qu’en 1680. Le Dictionnaire de Richelet précise alors pour « rosé » : « mot adjectif qui ne se dit qu’au masculin et qui se dit du vin. Il signifie qu’il est d’un rouge agréable et tirant sur la couleur d’une rose d’un rouge vif. C’est du vin rosé fort excellent. Aimer le vin rosé ». L’expression de vin gris ne se trouve qu’en 1690 (Dictionnaire de Furetière). Si on éprouve ainsi le besoin de désigner le vin rosé, c’est que le vin rouge devient plus apprécié et consommé, notamment suite à « l’invention » au milieu du XVIIe s. par Arnaud de Pontac au château Haut-Brion de ce que la clientèle anglaise appellera le « new french claret ». Celui-ci se distingue du traditionnel claret de Bordeaux parce qu’il est non plus clairet mais d’un rouge soutenu - ce n’est pas évident à suivre.

Au fil du temps, la diffusion des innovations techniques (pressoir, mèche hollandaise, durées de cuvaison, ouillage, soutirage…), le goût de la clientèle, les modes de consommation ont imposé la consommation des vins rouges.
Au XIXe s. les vins rouges, bleus, voire noirs, sont parés de toutes les vertus et notamment considérés comme les boissons énergétiques de l’époque. Les techniques de vinification sont adaptées en conséquence et on ira même jusqu’à rechercher des cépages « teinturiers », dont le jus lui-même est coloré.
Au XXe s. autre changement de mœurs et d’humeur (vacances dans le sud, découverte de la Provence, nouveaux modes de consommation alimentaire…), mais aussi - dans les années 80 - de technique (avec la maîtrise des températures et des vinifications précises), la mode du rosé gagne les consommateurs français dont certains ont déjà découvert dans les années 50 les gris de Boulaouane… La quasi-totalité des vignobles français élabore désormais « ses » rosés. Les vins rosés représentent un peu plus de 10% de la consommation mondiale de vins tranquilles (non effervescents).

Aujourd’hui certaines appellations, historiquement consacrées au vin rosé, peuvent se prévaloir d’une plus-value de tradition et de culture qu’elles auraient tort de ne pas valoriser.

Ainsi le « bordeaux-clairet » est-il une mention officielle et sa capitale est Quinsac. En Bourgogne, Chitry produit des clairets et Marsannay des rosés. Les rosés de Loire sont produits depuis des siècles. On distingue aujourd’hui les plutôt doux cabernet-d'anjou et rosé-d’anjou, et les plus secs rosé-de-loire et saumur rosé. Le vin gris de touraine-noble-joué est connu depuis le XVe siècle et il a été remis en culture dans les années 70. Les évêques de Toul et des ducs de Lorraine ont assuré le succès des Gris de Toul (AOC côtes-de-toul). Le Rosé des Riceys, vin champenois non effervescent, est un vin de garde. Il était réputé à la cour de Versailles et au XVIIIe siècle sur les marchés des Flandres. Le Tavel semble revendiquer le nom de rosé puisqu’il se définit comme le premier rosé de France, son appellation ayant été obtenue en 1936, parmi les toutes premières. Mais il préfère se qualifier de « vin rouge de couleur rubis clair teinté d’or ».
Souvent aussi les vins rosés portent les valeurs de leurs cépages historiques. Cherchez les cuvées de grolleau ou de pineau d’Aunis en rosé d’Anjou ; de négrette à Fronton ; de brachet et de folle noire à Bellet ; de… rosé du Var (oui, c’est bien le nom d’un cépage !) en Provence. Certains vins gris sont élaborés avec des cépages gris : Aramon gris, Pinot gris, Picpoul gris, Sauvignon gris, Terret gris, Grenache Gris… Ce sont des gris de gris !

Le rosé a son concours, le « Mondial du rosé » ; ses Rencontres Internationales ; ses festivals… Il s’apprête à avoir pour la première fois sa Journée Internationale le 22 juin 2018.

Les « rosés canal historique » ont à faire valoir leur place dans cette réussite moderne.

 

Natures mortes (détails) : Clara Peeters 1628, Lubin Baugin 1630, Chardin 1763

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