Le Marché commun mondial du vin

Article du 21-07-2014

Nous avons le plaisir de publier le résumé de la présentation de Robert Tinlot aux 2èmes journées internationales des Amateurs éclairés de vins, tenues les 5 et 6 Juillet 2014, au château du Clos de Vougeot.

« Le fil conducteur est l'abandon de la déontologie spécifique du vin pour satisfaire les obligations de la mondialisation. La mercantilisation de l'activité des sociétés mondialisées laisse peu de place aux richesses culturelles accumulées au fil des millénaires » nous explique Robert Tinlot, Directeur général honoraire de l’Office international de la vigne et du vin (OIV), ancien membre de l’INAO et Président de l'Académie Amorim.

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Une déontologie du vin se construit en réponse aux crises post-phylloxérique et de 1929

Ce qui caractérise le vin en France et en Europe, c’est la déontologie spécifique qui le gouverne. Ainsi s’écarte-t-il des règles qui s’appliquent aux autres denrées alimentaires et même aux autres boissons. Il est en même temps qu'une boisson, un produit culturel, mythique et singulier.

La formation de cette déontologie, en France, après le libéralisme révolutionnaire et la suppression des corporations et autres organisations professionnelles, en 1791, s’est construite sur les crises viticoles qui ont suivi la grande catastrophe du phylloxéra, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème.

Le vignoble replanté après sa destruction par l’insecte « vastatrix » a été immédiatement confronté à la concurrence des vins fabriqués et artificiels : vins de sucre, vins de diffusion, piquettes, vins de raisins secs, vins additionnés d’eau et d’alcool, utilisation en mélange de caroubes, clochettes, fleurs de mowra, riz, orge et autres matières sucrantes, saccharose et addition de substances chimiques telles que les acides sulfuriques, chlorhydriques, nitriques, boriques, des arômes et matières colorantes comme la fuchsine.

Le législateur dû intervenir pour définir le vin (loi Griffe du 14/08/1889) et pour interdire toutes ces pratiques ainsi que pour exclure du marché les vins issus des pratiques visant à « modifier l’état naturel » du vin. Il intervint aussi pour écarter les vins malades ou atteints d’acescence. Cette période se caractérise par une abondance de mesures qualitatives fixées par des lois parfois redondantes, voire contradictoires qui ont fait parler d’une mosaïque de lois.

La loi du 1er août 1905 mis un terme aux initiatives parlementaires et donna au gouvernement le pouvoir d’intervenir par des règlements d’administration publique (décrets en Conseil d’Etat). Par l’ensemble des mesures qualitatives on a construit un corpus juridique qui devait à lui seul régler les problèmes de surproduction en laissant sans concurrence les vins sains, loyaux et marchands. Le mot d’ordre était de « lutter contre la fraude ».

Après la Grande Guerre, la diminution de la demande des armées et la crise de 1929, on vit s’installer la surproduction que les mesures qualitatives seules ne pouvaient pas réduire. Aussi, le législateur intervint de nouveau pour introduire des mesures économiques de gestion du marché. Dès 1930, on crée un ensemble des dispositions que l’on appellera le statut viticole de Barthe (du nom du parlementaire à l’origine des textes). Cet ensemble sera réuni dans un décret du 1er décembre 1936 dit « Code du vin ».

Ce statut viticole comporte un ensemble de mesures visant à réduire la superficie du vignoble, une liste de six cépages interdits, des mesures de blocage avec échelonnement des sorties de la propriété en fonction des cours, des mesures de distillation des excédents et l’on créé un monopole des alcools et un service spécial au ministère des finances pour gérer les alcools ainsi produits et on taxe les hauts rendements.

Les vins sont répartis en trois catégories : les « vins de pays » en bas de l’échelle (pays étant péjoratif à cette époque), les vins de coupage qui constituent les vins à privilégier pour la consommation courante et les appellations d’origine (et AOC en 1935).

Une commission de propagande en faveur de la consommation du vin et une commission de surveillance du prix des vins au détail pour que le prix excessifs ne freinent pas les ventes sont mises en place. Enfin, un régime des vins importés permet de limiter la concurrence des vins étrangers.

Après la période de pénurie de la guerre, dès 1953, on réintroduit des mesures comparables à celles du statut viticole de Barthe. On établit un cadastre viticole qui est géré par un Institut des vins de consommation courante.

Le traité de Rome permet d’introduire la « déontologie du vin » en Europe.

En 1957, le traité de Rome prévoit, pour les produits agricoles (le vin figure parmi ceux-ci), de remplacer les organisations nationales de marchés par des organisations communautaires sous réserve toutefois, que ces organisations communes apportent les mêmes garanties que les organisations nationales qu’elles remplacent. Le vin se distingue des autres boissons et denrées alimentaires.

En application de cette disposition, et compte tenu du fait que la France est le seul pays disposant d’une organisation nationale du marché du vin, le statut viticole sert de base à la règlementation européenne.

Ainsi, dès 1962 sont créés les « vqprd», désignation commune pour les vins de qualité allemands et Luxembourgeois et pour les appellations d’origine françaises et italiennes. En 1970 (R 816/70 et 817/70, l’organisation du marché communautaire du vin est mise en place. Elle comprend tous les chapitres du statut viticole: régime des plantations, régime des prix et des interventions avec stockage et distillation, pratiques œnologiques, étiquetage, régime des échanges avec les pays tiers. Une clause assure la préférence communautaire et des aides (restitutions) à l’exportation.

S’il a été facile de persuader les six pays du marché commun initial d’adopter les règles du statut vinicole, l’élargissement de l’Europe à des pays non viticoles va faire apparaître plus manifestement les effets pervers des mesures trop protectrices et, de ce fait, jugées trop coûteuses. Ainsi, des 1976 on bloque les plantations nouvelles et en 2003, des distillations à bas prix sont imposées pour décourager la production de vins destinés essentiellement à la distillation à haut prix.

Les accords de mondialisation : Marrakech 15 avril 1994

L’acte juridique important qui va bouleverser le monde est la signature des accords de mondialisation de 1994 qui introduisent le principe du libre commerce et l’interdiction de mesures préférentielles pour les produits nationaux.

A la faveur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) inclus dans le traité de Lisbonne, en 2007 et de la suppression de la clause d’équivalence des mesures d’organisation communes avec les mesures nationales antérieures (clause du traitement national et clause de la nation la plus favorisée), l’organisation du marché du vin européen va être soumise aux engagements découlant des accords de mondialisation.

Ces accords créent l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et subordonnent le monde, dans ses aspects les plus divers, au développement du commerce mondial.

En agriculture, on doit supprimer les subventions faussant la concurrence. Les obstacles techniques au commerce (OTC) et les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) sont fondées sur des approches scientifiques. Les organisations internationales spécialisées servent de référence notamment en cas de litige et ainsi les experts mondiaux prennent le pouvoir sur les milieux politiques.

En échange de l’obligation de standardiser les marchandises et d’unifier les contrôles on accepte de reconnaître les Indications géographiques et d’en organiser la protection (ADPIC) tout en maintenant la clause dite du Grand père ou des péchés du passé.

Un registre des IG est prévu mais ne sera pas encore réalisé. L’Europe pousse aux progrès en ce domaine mais lors des cycles de négociation (cycle de Doha) c’est l’échec. De ce fait l’Europe se tourne avec un grand succès vers les accords bilatéraux. Le dernier en date est signé avec l’Ukraine en juin 2014. Toutefois les USA résistent encore et malgré une avancée en 2006 conservent le droit (clause des péchés du passé) d’utiliser 17 appellations européennes dites « semi-génériques ».

Les négociations actuelles engagées par l’UE avec les USA (Ttip :Transatlantique trade investment partnership) soulèvent plus de craintes que d’espoirs, la Commission qui négocie étant plus ouverte au libéralisme commercial que soucieuse de la protection des acquis européens.

Une autre préoccupation qui n’est pas liée à l’OMC mais relève de la mondialisation par l’internet. L’utilisation des noms de « domaines» au sens des adresses internet : « .fr », « eu ». « .com » au premier niveau et au deuxième niveau comme : « .org.fr » pourraient aussi comporter des mots tels que : « vin » et « wine» sans lien avec ces secteurs de l’économie.

Il est redouté que l’on puisse voir apparaître : « vin. Bordeaux» ou : « vin.champagne », sans lien avec ces appellations d’origine. Ceci constituerait un recul de 130 ans d’efforts déployés pour assurer la protection de ces appellations d’origine. La société de droit californien « Icann » qui gère ces noms de domaine s’est refusé, jusqu'à présent, d’imposer des restrictions, soutenue en cela par les USA, l’Australie et la Nouvelle Zélande.

 

Photos : André Deyrieux et Robert Tinlot (La Tour d’Argent) - Robert Tinlot (2èmes journées internationales des Amateurs éclairés de vins)

 

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