 Face à Blois, sur la rive gauche de la Loire, entre nombre de châteaux célèbres, le méconnu et exceptionnel cépage romorantin a trouvé son terroir et forgé son territoire hautement œnotouristique. L’affaire François 1er Quand est-il né, ce romorantin ? En 1519, grâce à François 1er, dit la légende locale. Légende forgée au XXe siècle puisqu’elle n’est pas mentionnée par l’Ampélographie de Viala et Vermorel publiée entre 1901 et 1910.
Il est vrai que ce roi – dont l’épouse Claude de France était native de Romorantin – a planté tout le sud de Blois, mais c’était plutôt en pinot, nommé alors « complans de Beaune ». Se fondant sur cette tradition, le Domaine national de Chambord a replanté en 2015 des vignes au lieu-dit « l’Ormetrou », une parcelle à dominante sableuse, mélangée en sous-sol à de l’argile. Les cépages ? Du romorantin préphylloxérique, mais aussi du pinot noir, du sauvignon, de l’orbois (dit en Sologne « menu pineau »). Les vins seront en AOP Cheverny et – pour ce qui est du romorantin pur, qui sait, bientôt en AOC Cour-Cheverny.
Les études les plus sérieuses constatent que l’enquête préfectorale conduite au tout début du XIXe siècle dans le Loir-et-Cher (enquête menée dans toute la France) identifie des cépages (comme l’orbois ou le pinot noir) mais pas le romorantin (ni le sauvignon). L’absence de romorantin est confirmée dans l’ouvrage Topographie de tous les vignobles connus d’André Jullien dans l’édition originale de 1816 comme dans la version de 1866 (qui mentionne en revanche le sauvignon).
Conjonction géohistorique remarquable D’où vient le romorantin, en ce cas ? Plusieurs faits sont à mentionner. Son nom n’est attesté clairement qu’en 1868, sous la plume de Jules Guyot dans son Étude des Vignobles de France. Il est issu du croisement du pinot teinturier et du gouais. Il porte le nom d’une petite ville de Sologne sise sur les rives de La Sauldre, un affluent du Cher. Le botaniste Pierre Mouillefert, lorsqu’il établit en 1903 la note Romorantin de l’Ampélographie de Viala et Vermorel, cite une tradition selon laquelle un vigneron anonyme introduisit le cépage en 1830 à Villefranche-sur-Cher, donc tout près de Romorantin. Mais ceci ne nous éclaire guère. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il constitue indubitablement un patrimoine ampélographique loir-et-chérien et qu’il y a depuis 150 ans une conjonction géohistorique bienheureuse entre ce cépage et son terroir, offrant une palette unique de vins élégants et aromatiques de belle tenue. |
Histoire des vignobles de Cheverny et Cour-Cheverny Dès l'origine, au XIVe siècle, le lieu de l’actuel château de Cheverny est connu pour ses maisons, ses pressoirs et ses vignes. Le vignoble d’origine royale et aristocratique voit sa croissance assurée par la présence de l’axe commercial de la Loire ainsi que par le célèbre édit promulgué en 1577 par le parlement de Paris. Celui-ci interdit aux habitants l'achat de vins produits à moins de vingt lieues (88 kilomètres) de la capitale. La vigne se plante largement à Orléans (notamment avec l’ouverture du canal de Briare en 1642), vers Blois, vers Tours. Au XIXe siècle la viticulture travaille beaucoup pour la distillation, les vins d’assemblage et de masse (donc colorés) et seulement pour partie pour produire des vins de qualité. La crise phylloxérique (à partir de 1876), la concurrence des vins du sud grâce au développement du chemin de fer touchent le vignoble de Cheverny.
Les noms des vignobles de Cheverny et Cour-Cheverny ont varié au fil du temps (et peut-être n’est-ce pas fini). La préoccupation de la qualité et le souhait de se choisir un nom sont continus depuis l’époque révolue – au début du XXe siècle – où l’on parlait des « vins de Sologne » et où l’on multipliait les hybrides producteurs directs. En 1949, l’AOVDQS se nomme Mont près Chambord Cour Cheverny ; en 1964, se crée une Appellation d’Origine Simple Coteaux du Blésois (de Blois) ; en 1973, elles deviennent l’appellation Cheverny. Les appellations d’origine contrôlée « Cheverny » et « Cour-Cheverny » sont reconnues en 1993. Depuis 1993, on distingue bien l’appellation Cour-Cheverny (54 ha), dont les vins – blancs secs – sont issus à 100 % du romorantin (cas unique au monde), de l’appellation Cheverny (630 ha), qui produit des vins d’assemblages ; pinot, gamay et un peu de côt en rouge ; sauvignon, chardonnay et menu pineau (orbois) en blanc. Doux paysages L’AOC Cheverny englobe l’AOC Cour-Cheverny. Les vignobles se situent sur un plateau aux pentes légères rive gauche de la Loire, entre Loire et Bièvre, entre les châteaux de Chambord, Blois, Chaumont-sur-Loire. Trois rivières le parcourent d’est en ouest pour se jeter dans la Loire : du nord au sud le Cosson (qui arrose le château de Chambord), le Beuvron, le Conon (qui alimente les étangs de Cheverny), la Bièvre.
Le climat est influencé par le fleuve et ses affluents, ainsi que par les boisements frais et giboyeux (ne pas manquer la saison du brame du cerf, fin septembre) de Chambord et Cheverny et la forêt solognote. Les vignes sont comme autant de pauses implantées en îlots et en clairières dans la profusion des bois et le chatoiement des cultures. Les sols sont maigres avec d’est en ouest une déclinaison, des sables argileux aux argiles à silex avec des fonds calcaires.
Vignerons Le paysage connaît une biodiversité naturelle riche en espaces ouverts à la pêche et à la chasse (ne serait-ce que pour réguler des populations de chevreuils gourmands de bourgeons de vignes) et entretenue par des plantations de fruitiers et du maraîchage (fraises, asperges). Un exemple de polyculture peut être trouvé au domaine du Croc du Merle à Muides-sur-Loire, dont le cheverny rosé sec et gouleyant s’arrache : il est aussi connu pour ses fruits et ses produits laitiers ; avec 150 têtes de bovins, il produit fromages, crème et yaourts.
Les vignerons, qui appartiennent souvent à d’anciennes familles, prennent grand soin de la vigne, de l’enherbement, de la maturité des vendanges, des vendangeurs (bien formés, bien accueillis et qui ont plaisir à revenir), des levures indigènes, des lies fines, des élevages longs.
On rencontrera pour parler romorantin : à Cellettes, Hervé Villemade aux vinifications étonnantes (Domaine du Moulin – Cuvée Les Saules 2016) ; à Cour-Cheverny, Michel Gendrier (BD, le président de l’appellation – Domaine des Huards - Cuvée de vieilles vignes Eugène Magloire 2014) ; Michel Quenioux (à Fougères-sur-Bièvre, le président de la Maison des Vins de Cheverny – le domaine du Veilloux est dans la famille depuis mars 1789) ; à Cour-Cheverny, Benoit Daridan (Domaine Daridan - Cuvée Cour Cheverny Vieilles Vignes) ; à Cour-Cheverny, Luc Percher (Bio, L’Epicourchois – Cuvée Cour-Cheverny) ; à Cheverny, Damien Cadoux (Domaine Le Portail – Cuvée Cour-Cheverny) ; à Cheverny, Philippe Loquineau (Domaine de La Plante d'Or – Cuvée Salamandre 2018).
Citons aussi (bien sûr, diront les amateurs éclairés) : le Domaine du Petit Chambord (François Cazin), Philippe Tessier, le Clos du Tue-Bœuf (Thierry Puzelat), le Domaine de Montcy (Laura Semeria), le Domaine de la Désoucherie (Christian et Fabien Tessier), le Domaine de la Grange (Guy Genty). |
Carnet d’adresses recommandées Portes d’entrée œnotouristiques
Les appellations accueillent avec qualité les œnotouristes, les visiteurs culturels et les randonneurs à vélo. Il y a deux maisons des vins. L’une est à Cheverny, dans l’entrée du château. L’autre est en face du château de Chambord. Elles proposent des installations originales de dégustation des vins des appellations et des animations sensorielles et pédagogiques. www.maisondesvinsdecheverny.fr www.maisondesvinschambord.com La Fête des Vendanges (randonnées, fête et festival) se déroule habituellement début septembre. Restaurants
L’Auberge du Centre de Gilles Martinet à Chitenay est une excellente adresse et possède une vraie carte des vins pour amateurs. Instructif et convivial. On appréciera aussi, la carte soignée du jeune Chez Jacques à Bracieux. Hébergement
Le vignoble ne manque pas de chambre d’hôtes ou d’accueil pour les camping-cars (comme au Domaine de la Grange). À un peu plus de deux heures de Paris, cette destination chargée de vignes et d’histoires ne pouvait manquer d’attirer un acteur œnotouristique déjà connu dans l’appellation Pessac-Léognan. Les Sources de Cheverny viennent d’ouvrir, au cœur d’une forêt de 40 hectares autour du château du Breuil, un hôtel-spa (soins Caudalie à base de raisins et de vin bien sûr) avec une auberge, une ferme d’agrément, complétés à terme d’un restaurant gastronomique. Les Sources de Cheverny ont déjà leur cuvée de romorantin : La Grand Vigne (à notre goût peu typique de l’appellation…). Visite
En sus des autres châteaux, on aimera visiter Troussay, qui est le plus petit des châteaux de la Loire. Ce fût aussi un château viticole, celui de la famille Tessier, et il possède une petite exposition viticole.
À lire, sur le romorantin, les publications de l’archéologue spécialiste des cépages du Val de Loire Henri Galinié : Les cépages du département de Loir-et-Cher en 1804 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01427299/document
Romorantin, François Ier, Chambord (1518-1519), Recherches sur l’histoire des cépages de Loire, 9 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01872109/document
Les noms Framboise, Dannery, Romorantin (1712-1904) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01436142/document |