Les vignobles de l’Yonne, lecture géohistorique

Article du 04-10-2020

L’analyse dynamique d’un vignoble diffère de son analyse statique (implantation, surface, géologie, climat, encépagement…). Son objectif est de faire comprendre le vignoble par sa géographie historique et culturelle. Si on regarde la carte des vignobles de l’Yonne, on ne voit que des tâches dont la disposition paraît hasardeuse, mais ça n’est pas le cas. Avec l’analyse dynamique, les taches statiques des vignobles sur la carte trouvent une explication et prennent un sens. Prenons quelques points, cinq pour être précis, qui peuvent améliorer notre compréhension.

La première chose à comprendre c’est qu’avant le phylloxéra il y avait de la vigne partout de Dijon à Tonnerre. Auxerre, Chablis, c’était la « Basse Bourgogne ». Depuis un édit royal de 1416, sont vins de Bourgogne les vins provenant de vignobles en amont du pont de Sens sur l’Yonne. Après le phylloxéra (et la concurrence des vins du Midi avec le chemin de fer), le vignoble s’est reconstruit sur des terroirs qualitatifs ; ces changements se rencontrent dans d’autres vignobles.

La deuxième chose à comprendre c’est que la vigne s’installe là où il y a un marché, une voie de passage ou de communication importante. C’est la géographie qui parle.
Le rôle de l’Yonne, rivière navigable depuis Auxerre et tout au long de l’année depuis Joigny est aujourd’hui méconnu. L’Yonne était l’artère nourricière de la capitale pour le bois, le charbon, le vin ! Au-delà de Paris, c’est le port de Rouen et l’exportation vers l’Europe du nord.
Rappelons que ce n’est pas la Seine qui coule à Paris mais l’Yonne. Au confluent de la Seine et de l’Yonne, à Montereau-Fault-Yonne, le débit de la Seine est de 80 m3, celui de l’Yonne de 93 m3.
Les vignobles du département de l’Yonne sont sur des rivières : l'Yonne et ses affluents, l’Armançon, le Serein, la Cure. La grande voie romaine d'Agrippa de Lyon à Boulogne-sur-Mer suit ce chemin. À ce propos, on croit reconnaître le cépage nommé césar sur la sculpture d’un vendangeur du IIe siècle à Escolive-Sainte-Camille près d'Auxerre. Qui dit grande route dit aussi étapes gastronomiques comme en témoignent Joigny (La Côte Saint-Jacques) et Vézelay (L’Espérance).

La quatrième chose à comprendre, et oubliée, c’est le génie du commerce inhérent au lieu. Qui dit voie de transport et proximité de Paris (200 km), dit négoce et familles commerçantes. Joigny avait, quai de Paris, son port aux vins. Saint-Bris-le-Vineux était une plaque tournante du commerce viticole de l'Auxerrois. Chitry avait la particularité héritée de l’époque féodale d’avoir sa rue centrale qui était la frontière entre deux circonscriptions fiscales : celle de Tonnerre et celle d'Auxerre. Lors des contrôles du fisc, les tonneaux passaient facilement d’une cave à l’autre, d’un côté à l’autre de la rue. La rentabilité du commerce du vin en était accrue.
Dès le XVIIe siècle, de nombreuses familles de négociants en vins sont restées célèbres dans l’histoire à Chitry, Saint-Bris, Tonnerre, Mailly-le-Château, Courgis : les Guénier, les Campenon, les Boyard, les Villetard, les Guéron, les Guyon…
L’historien et généalogiste Étienne Meunier est très clair à cet égard : « Très tôt, le milieu des négociants en vins met en place méthodiquement une parentèle facilitant son commerce. Le schéma idéal consiste à disposer d’un père marchand de vins dans un bourg vinicole, d’être soi-même marchand de vins en gros à Paris, de marier sa sœur avec un voiturier par eau, et d’avoir pour oncles des lieutenants et procureurs fiscaux de justices seigneuriales. Ce modèle est particulièrement à l’honneur à Saint-Bris, Irancy, Chitry, Courgis et Champs », Notes pour servir à l’histoire des familles de l’Icaunie liées aux métiers du vin in Cahiers généalogiques de l’Yonne (tome X, année 1994, p.65).
Dans cette région de blancs, les couples de couleurs reflètent une réflexion commerciale quant à des offres complémentaires : Irancy rouge et Saint-Bris blanc ; Épineuil rouge et Tonnerre blanc.

La cinquième chose à comprendre, ce sont les fortunes – tours favorables ou défavorables de l’histoire. Il y a d’abord le rôle des monastères. Les monastères ne sont pas ceux que l’on connaît aujourd’hui. Ce sont de véritables entreprises. Dès le VIe siècle, les abbayes sont nombreuses, fortes, et concurrentes. Parmi les abbayes bénédictines, citons Saint-Michel de Tonnerre et l’abbaye Saint-Germain, à Auxerre, encore célèbre aujourd’hui pour son Clos de la Chaînette.
Parmi les abbayes cisterciennes, citons Quincy (Tancay) qui compte quatorze granges et maisons urbaines, six à sept moulins ainsi que des celliers à vin à Auxerre, Chablis et Épineuil ; Reigny, qui exploite dix granges, des moulins, des celliers comme à Vincelottes dont le nom vient du latin vini cellulae, cellules pour le vin. L’abbaye de Pontigny de Chablis est justement célèbre et son entêtement à s’opposer (dans la première partie du XVe siècle) à un projet des vignerons pour rendre le Serein navigable a sans doute imposé à Chablis un effort qualitatif supplémentaire pour exporter ses vins par voie terrestre jusqu’à Saint-Bris et Auxerre. Connu depuis le XIIIe siècle, ce vignoble sera parmi les tout premiers – en 1938 – à obtenir la reconnaissance de ses crus en AOC.
Il ne faut pas passer sous silence le rôle des pèlerinages pour la notoriété du vignoble et la consommation de ses vins, surtout en terre vézelienne. Vézelay, lieu de pèlerinage, et aussi point de départ de la via Lemovicensis – l'un des quatre chemins de France vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Il faut aussi rappeler (le deuxième dimanche d'août) la Sainte-Épine à Courgis. D’autant que, disait-on, la Sainte-Épine protège le vignoble de la grêle et du gel. Ce qui est vrai puisque Courgis est à une altitude moyenne de 250 mètres et donc plus à l’abri du gel que Chablis.

Rappelons en outre dans le balancier des fortunes de l’histoire l’étendue et la puissance du Duché de Bourgogne, de Mâcon à Amsterdam, qui aux alentours du XVe siècle a permis de faire connaître et « d’exporter » les vins de « Bourgogne » ; le rôle de l’édit des vingt lieues de 1577 qui impose aux marchands de Paris d’acheter leurs vins au-delà d'un rayon de 88 kilomètres ; et récemment – comme dans les années 70 celui d’André Durand pour le Tonnerrois – un travail fortement qualitatif.

Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour valoriser les vignobles de l’Yonne sur le plan des vins, mais aussi de leur histoire.L’Yonne ne manque pas de patrimoines œnoculturels – aujourd’hui encore en dessous des radars culturels ou viticoles – propres à l’illustrer.

www.vignobles-yonne.com

www.vins-bourgogne.fr

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