Auteur d'une « Petite philosophie de l'amateur de vin » et d'une « Petite philosophie de l'amateur de voyage », Thierry Tahon est une référence incontournable pour l'oenotouriste pensant. Professeur de philosophie à Biarritz, il s'est fait en une seule année, une solide réputation de philosophe hédoniste des loisirs et passions de la vie : le rugby (« Petite philosophie de l'amateur de rugby » paru en janvier 2005), le vin, les voyages. A la lumière des grands auteurs (Descartes, Socrate, Baudelaire, Nietzsche, Onfray...) son analyse de la passion pour le vin passe par l'utilisation claire de concepts philosophiques classiques : l'imagination et le réel, le besoin et le désir, l'espace et le temps, l'objectif et le subjectif, la nature et la culture, la conscience de soi, la raison, la morale, la fête... DES GARANTIES D'AUTHENTICITE WTIF : Est-ce que l'oenotourisme a un sens ? Vous dites presque que découvrir une région par ses terroirs et ses vins, et les hommes qui font ce vin, c'est la meilleure façon de découvrir une région.... On est alors loin du sens « industriel » du mot tourisme ; il ne s'agit plus de passer quelque part sans préparation et sans hasard... Thierry Tahon : Le mot « voyage » correspond bien à cette découverte d’une région qui prend le vin comme fil conducteur. On prépare généralement son voyage à l’aide de guides, de cartes, ou de sites Internet comme le vôtre. Ce sont des aides précieuses pour ne pas passer à côté des trésors qu’un terroir peut offrir. Il faut aussi savoir suivre son intuition, s’abandonner au hasard, et ne pas hésiter à se perdre. Ce qui compte, c’est de ne pas survoler sommairement une région en se contentant de quelques incontournables qui sont autant de clichés. Dans ces conditions, le vin, ou la gastronomie, présente des garanties d’authenticité pour qui veut vraiment approfondir la découverte d’un lieu. WTIF : Est-ce qu'on ne retrouverait pas chez l'oenotouriste fréquent (comme on dit « frequent traveler » dans les companies aériennes), les ressorts ou biais psychologiques qui sont ceux des collectionneurs (et d'ailleurs beaucoup d'amateurs de vins sont de purs collectionneurs de bouteilles rares) ? Thierry Tahon : C’est vrai qu’il y a un fétichisme de l’amateur de vin, en qui sommeille probablement un collectionneur. Mais garder son vin n’est, en principe, qu’un moyen afin qu’il atteigne son apogée, et que le possible devienne réel. Le but, ne l’oublions pas, est de déguster ce vin un jour ou l’autre et non de sombrer dans la fascination pour le flacon. Tôt ou tard, il doit y avoir rencontre sensorielle : le collectionneur, quant à lui, est dans l’imaginaire, il fantasme son vin. Moi aussi j’aime imaginer le vin, mais au bout d’un moment, il me faut du réel, du concret. RENCONTRE SENSORIELLE WTIF : Dans le monde du vin, un mot se prête à de nombreuses interprétations, c'est le mot « terroir ». Quelle est votre définition du terroir ? Thierry Tahon : Un terroir c’est une terre possédant une identité spécifique, originale. Dans le cas du vin, un terroir c’est avant tout un sol, tel type de sol. Mais c’est aussi un ou des cépages bien précis, des traditions, une histoire, un climat. L’intérêt est donc de découvrir à quel vin, forcément unique, singulier, tel terroir a pu donner naissance. En somme, le terroir est ce qui fait l’originalité d’un vin, son identité. LA MANIFESTATION DU MOI PROFOND WTIF : Vous insistez sur l'importance des fêtes pour la vie sociale et pour l'équilibre de chaque individu. Mais – je me fais l'avocat du diable - lorsqu'on consulte, sur notre site, l'agenda très chargé des événements festifs autour des vins, ne peut-on pas dire qu'il y a trop de fêtes ? Thierry Tahon : L’essence de la fête c’est d’être une parenthèse dans la continuité du temps, et cette parenthèse favorise l’exubérance, la manifestation du moi profond. Les meilleures fêtes sont celles que l’on improvise, plutôt que celles où les pouvoirs publics vous autorisent à vous amuser à date fixe. Y a-t-il trop de fêtes ? Il est, de toute façon, impossible de toutes les faire ; aussi faut-il les sélectionner soigneusement. Celles que je préfère sont celles qui tournent soit autour d’un vin bien précis, soit autour de telle spécialité gastronomique. On s’y amuse, et on s’y régale. WTIF : Vous envisagez de faire un voyage dans la Rioja. C'est une sorte de pélerinage puisque vous devez votre « conversion au vin » à cette bouteille dont une bande bleue barre en diagonale l'étiquette, conversion que vous racontez au début de votre livre. Pourquoi faire ce voyage ? Qu'est-ce que vous en attendez, pourquoi ne pas se contenter d'aller chez un caviste de Biarritz ou sur un site internet et d'acheter quelques caisses de bouteilles ? Thierry Tahon : Je ne veux pas boire du Rioja, ce que je peux faire chez moi, tranquillement, mais je veux boire du Rioja là-bas, sur place, voir à quoi ressemble ce terroir auquel je dois ma conversion au vin. J’attends 2 choses de ce voyage : d’abord qu’il me fasse rêver, puis, une fois sur place, qu’il me livre ma dose de sensations et d’informations. Je veux, en outre, découvrir d’autres vins que ceux que je trouve chez mon caviste. INTENSEMENT IMAGINE WTIF : Philosophiquement, dans quel « état » êtes-vous en préparant ce voyage ? Thierry Tahon : En préparant mon voyage, je me rends compte qu’une faculté est très active : l’imagination. Je suis, pour le moment, privé de sensations : mon voyage n’est pas encore vécu, aussi est-il intensément imaginé. Il a donc déjà commencé, même s’il s’agit plus, pour le moment, d’un voyage immobile. WTIF : Et pour la logistique, comment fait le philosophe ? Prépare-t-il beaucoup ses itinéraires et comment ? Thierry Tahon : Il faut se préparer un peu, mais pas trop, juste ce qu’il faut, car je tiens à entretenir la possibilité du hasard, de l’imprévu, de l’aventure. Je rassemble donc une documentation. Rien ne me fait plus rêver qu’une carte, ainsi que des noms de lieux : immédiatement, ils excitent mon imagination. WTIF : Si je vous demandais de nous proposer une idée de découverte de vignoble, quels seraient vos conseils de voyage ? Thierry Tahon : Prochainement, je pars pour le Val de Loire. J’espère découvrir les appellations de cette région : du Muscadet jusqu’au Sancerre, me semble-t-il. J’ai aussi le projet de refaire la route du Jurançon, et celle du Madiran. Enfin, j’ai été conquis, c’est vrai, par le Languedoc –Roussillon, en particulier par L’Aude et la région de Collioure : là-bas, l’amateur de vin est au paradis. |