Mille routes des vins sortent du désert Parker

Article du 22-10-2013

Le retrait de Robert Parker coïncide pour le monde du vin avec la fin d'une époque : celle de la domination d'un goût international, organisée par une notation scolaire des vins et leur hiérarchisation saugrenue, et conduisant à la standardisation obligée des candidats désireux d’entrer en lice...

L’éloignement du penchant pour l'alcool, le bois, les extractions imposantes, les maturités excessives, le sucre, les fruits confiturés et autres délires aromatiques est aujourd’hui engagé très sensiblement, même en Californie ou en Italie (ou passent de mode les super-toscans).

Aux arômes parkerisés se substituent des qualités organoleptiques nouvelles. Tanins, minéralité (qui doit trouver encore ses définitions), arômes d'herbes, amertumes fines, toucher de bouche, finale saline… gagnent en reconnaissance, et le grand négociant Kermit Lynch appelle chacun à en faire l’expérience : " Try to understand wine styles you’re not familiar with." (www.nytimes.com)

Derrière ce rideau d’opérette qui se lève enfin, est née durant les dernières décennies une planète du vin qui chaque jour devient plus riche.

Normal… La règle de toute évolution est d'aller vers plus de complexité, et il est aussi logique qu’au royaume de Dionysos le tumulte de la vie et l’ivresse de la création protéiforme reprennent leurs droits.

De plus en plus de buveurs demandent à être des amateurs éclairés. De plus en plus de vins originaux nous étonnent. De plus en plus de segments de marché et de niches s’ouvrent aux curieux.

Certes, des vins seront toujours « produits » - pour un prix donné - comme des boissons industrielles (grosse niche).

Il y aura aussi toujours des vins de luxe, les presque 100 pour lesquels Robert Parker déclarait dans sa note sur les Primeurs 2009 ; "They have become luxury products, and possess the same prestigious image as Rolls Royce… ». Produits de luxe, de consommation somptuaire, de spéculation, de contrefaçon aussi.

Un véritable maelstrom gustatif

Mais la planète vin découvre que ce qui est mondial n'a guère de valeur ni de sens.

Que recherchent les amateurs ? Des histoires excitantes et palpitantes. Les diversités locales du monde du vin. Ils veulent découvrir ce que chaque région, chaque appellation peut offrir de mieux, d’original, d'incomparable.

Diversité ampélographique, apparition ou réapparition de nouveaux pays du vin, extension des pratiques culturales et de vinification, diversification des modes de consommation… bien des facteurs contribuent à l’explosion amorcée d’un véritable maelstrom gustatif.

La nouvelle vague des cépages

Quelques cépages internationaux (Merlot, Pinot noir, Chardonnay, Zinfandel...) ont caché de leurs cuvées monocépages la vaste forêt ampélographique que les auteurs de l'ouvrage Wine Grapes ont chiffré à plus de 1.300 variétés (en raisins de cuve s'entend).

Aujourd'hui, certains pays brandissent leurs cépages nationaux comme des oriflammes : le Chili avec le Carmenere, l'Argentine avec le Malbec, l'Allemagne avec le Riesling, l’Uruguay avec le Tannat, l'Autriche avec le Grüner Veltliner... – avec le risque qu’à l’échelle d’un pays, cette manière de voir ferme un peu trop l’avenir, comme cela est déjà perceptible avec le Sauvignon en Nouvelle-Zélande.

En fait, une grande partie de la mappemonde œnologique du futur va se dessiner avec cette multitude fabuleuse de cépages régionaux, autochtones, oubliés, aux expressions désormais révélées par l'absence de barriques, par des vinifications modernes (c'est-à-dire non technologiques), et par leur plantation sur leurs meilleurs (souvent ancestraux) terroirs...

Le Portugal, la Grèce, l’Europe Centrale, la Turquie, la Géorgie (qui compte plus de 500 variétés de vignes..) comprennent peu à peu quelle est leur carte maîtresse.

Il serait regrettable à ce moment précis de l’histoire, que la France se tire une fois encore une balle dans le pied en saccageant le patrimoine ampélographique du Conservatoire de Vassal, que le monde entier nous envie.

Mille principautés viticoles

Quelques pays ont longtemps projeté une ombre puissante sur les continents du vin.

Mais aujourd'hui, sur cette nouvelle planète, chaque terroir gorgé d'histoire viticole, y compris ceux un temps mal aimés, ou parfois malmenés, peut briller à nouveau : Tokay, Rivesaltes, Madère, Moselle, Marsannay, Valtellina…

Certains pays attirent de nouveaux investisseurs, comme l’Arménie ou la République slovaque, tandis que les vignes rares suscitent un peu partout l’enthousiasme.

De nouveaux territoires trouvent sur leurs sols des terres propices (la Chine, le Liban en dehors de la plaine de la Bekaa), d’anciens définissent de nouveaux terroirs (Etats-Unis), ou mettent en valeur toutes leurs nuances à l’image de la Vina Mosaica croate…

Mouvements et bousculades

La variété des techniques culturales, et de vinification est également en expansion, avec une préférence croissante pour celles qui ont un moindre impact technologique (bio, biodynamie ou vins naturels), ou gardent un lien (ou renouent) avec le passé : complantation en Autriche, amphores au Frioul ou en France, ou oopkuipe (fermentation ouverte) en Afrique du Sud.

Des appellations viennent bousculer, tout segment de marché égal par ailleurs, pourrait-on dire, les "marques" les mieux protégées. L’exemple de Cavas, Crémants, sparklings anglais, Prosecco se dégustant mieux que certains champagnes, est devenu un secret de Polichinelle.

Tous ces mouvements sont nourris par une myriade d'initiatives et d’individualités vigneronnes, tandis que les modes de distribution, de consommation, de partage et de convivialité des vins se multiplient. On a même vu récemment apparaître – sur le modèle des micro-brasseries – des « urban wineries » aux Etats-Unis.

L'aventure des histoires uniques oenoculturelles

L'oenotourisme, tourisme à haute valeur ajoutée, est le véhicule d'accès à cette floraison. Rien ne remplace le fait d’aller sur place.

Loin du stéréotype de la winery californienne raillée par Ralph Steadman dans un dessin fameux (ci-contre), il révèle sa mission : faire comprendre le caractère de l’héritage viticulturel, le faire aimer, le faire vivre aux visiteurs.

Son rôle est de rendre possible l’expérience authentique de chacun de ces ensembles culturels uniques que sont les terroirs viticoles.

Un peu partout, et insuffisamment en France, où sévit lourdement l'inculture hygiéniste, il raconte les histoires locales et uniques de l’immense civilisation du vin.

Mille routes des vins vont parcourir désormais la planète. Chacune sera originale.

Des hectares de rêve pour les oenophiles. Un défi pour les professionnels.

 

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