Oenotourisme en terre d’islam

Article du 15-01-2014

C’est à un oenotourisme particulier que nous convie Lawrence Osborne, journaliste, écrivain irlandais et buveur, qui publie The Wet and the Dry, A Drinker's Journey.

 

« Drinking my way across the Islamic world »

Son objectif de voyage ; découvrir ce que peut être sa vie d’« alcoolique en quelque sorte » dans des pays musulmans où boire de l’alcool est méprisable, clandestin, dangereux, encadré par des « permis de boire » (comme au Pakistan), interdit voire mortel, que ce soit pour les musulmans ou les étrangers.

Cette odyssée passe ainsi par le sultanat d’Oman, les Emirats, Java… en incluant des pays où paradoxalement (mais historiquement) l’alcool est encore produit.

L’auteur visite par exemple le Domaine des Tourelles dans la plaine de la Bekaa ; la winery égyptienne Egybet, qui produit des vins à base de cépage Bannati et la Brasserie Murree au… Pakistan.

 

« As with wine, a drink cannot be understood without seeing where it comes from »

L’auteur qui souhaite découvrir aussi ce qu’il devient s’il arrête de boire ne laisse pas de côté la part autobiographique : l’héritage familial irlandais ; les relations de couple avec ou sans l’alcool ; l’heure de son apéritif (18 h 10) ; ses bars de prédilection entre arak, absinthe, gin, vodka et raki (le Bridge Cafe de New York où vit l’auteur, le Time Out de Beyrouth, l’Ally Pally d’Abu Dhabi ou l’Orient Bar du Pera Palace)…

Le parcours nous dessine les noblesses, les mystères, les gouffres du boire, de l’ivresse, de l’assuétude, et constitue une mine d’informations ; depuis l’origine du mot « bar » aux pure malt de l’Isle de Jura, en passant par la distinction entre la fermentation, d’origine grecque (et d’essence organique et mystique) et la distillation, d’origine arabe, fruit de la rationalité et de la science.

« Are you serious ? Get drunk in Islamabad ? »

Pointant sans préjugés les contradictions au cœur des religions et des hommes, ce voyage est une plongée dans l’histoire contrastée de l’alcool dans les pays arabes : les sourates diversement interprétées du Coran ; le passé poétique et luxurieux de Baghdad (ah, le magnifique poète Abû Nuwâs) ; le Liban où le culte de Dionysos fut une vraie religion comme le montre le temple du dieu à Baalbek ; les consommateurs musulmans d’alcool, tels les Druzes (comme Walid Joumblatt, propriétaire du Château Kefraya), les Soufis pour lesquels vin, vie et amour sont presque confondus, certaines figures historiques de buveurs comme Atatürk ou le calife Mourad IV

Et aujourd’hui bien sûr, la prohibition de l’alcool ne va pas sans contournements, marché noir, voyages discrets à l’étranger (comme la Thaïlande du sud pour les Malais), explosion de la consommation de drogue…

Lawrence Osborne invoque trois explications au succès actuel de la prohibition : le rejet d’un symbole occidental (l’omniprésence de Johny Walker dans le monde est frappante) ; la répulsion pour ce qui est cause d’une altération des relations avec soi-même, avec les autres et avec Dieu ; mais aussi l’incompatibilité de l’alcool, générateur et symbole d’une parole désinhibée, avec une liberté qui a peu de place dans ces sociétés…

« I hate being sober »

Ce livre – profondément humain et civilisé - n’est en aucun cas écrit pour donner des leçons.

Il exprime densément la tristesse devant des mondes qui finissent et des siècles qui meurent lorsque l'alcool se retire.

L’auteur note que le coup définitif porté aux héritages dionysiaques autour de la Méditerranée fut donné par un empereur chrétien, Justinien II, en 692 de notre ère, et il se console à lire dans l’Histoire le caractère transitoire de toutes les religions et la permanence de l‘ivresse créatrice

 


The wet and the dry, A Drinker’s Journey de Lawrence Osborne, Harvill Secker, 2013, London, £ 12.99, 244 p.

www.lawrenceosborne.net

 

Sur le vin et l'islam, on lira aussi le livre de Georges Ferré, L'Âme du vin :

http://www.winetourisminfrance.com/fr/magazine/1580_l_ame_du_vin.htm

 

 

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