Quel point commun entre les crayères de Champagne, les caves du restaurant La Tour d'Argent, les étiquettes de Mouton Rothschild, la colline de Corton, le coq au vin de Chanturgues, les échalas de la Côte-Rôtie et les rancios secs du Roussillon ?Ils sont tous parties intégrantes d'un patrimoine largement méconnu, le patrimoine vitivinicole français. Ce patrimoine - le plus riche du monde - comprend des patrimoines "viticulturels", liés à l'histoire, à l'architecture, aux arts et à la littérature, mais aussi un vaste patrimoine naturel, celui des géologies et des paysages remarquables (dont certains inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO), avec leurs aménagements humains indissociables, tels les terrasses, murets, irriguations... S'y ajoute le patrimoine cultural et les complexes interactions entre les cépages, les modes de culture, de vinification, d'élevage... Enfin, le patrimoine alimentaire et gastronomique du savoir boire, manger et vivre, ainsi que le patrimoine folklorique des événements et cultures populaires doivent être pris en compte. |
Or, ces patrimoines qui constituent pour la France un réel avantage concurrentiel en matière touristique sont menacés de destruction, d'oubli et de déshérence.Pour ne prendre que quelques exemples, l'urbanisation menace les vignobles, les pratiques culturales détruisent les terroirs et la biodiversité. La standardisation des goûts, qui va de pair avec un encouragement à la paresse intellectuelle, menace la liberté de produire des bons vins au profit de breuvages industriels. Vendanger nos patrimoines vitivinicoles Aujourd'hui, les patrimoines vitivinicoles doivent être protégés. Leur monde riche et complexe doit être mieux connu. Ils doivent être valorisés sur le plan économique ; l'oenotourisme trouve là un vaste terrain d'expansion, notamment pour le développement de ses aspects culturels et artistiques. Il nous paraîtrait d'abord judicieux d'inscrire dans notre législation le principe qui figure depuis 2003 dans la loi espagnole : "Le vin et la vigne sont inséparables de notre culture". On pourrait également s'inspirer - pour le vin - de l'article L.654-27-1 du Code Rural qui édicte que "le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France". Le rapport Dubrule a cette année attiré l'attention des pouvoirs publics, de la filière vitivinicole, du grand public sur les potentialités de développement de l'oenotourisme. L'un de ses axes propose de "construire une culture commune de valorisation par l'oenotourisme du patrimoine vitivinicole français, avec deux éléments essentiels : les paysages et l'architecture." En regard d'un oenotourisme "de masse" - d'accueil à la propriété, de vente de vins et de produits dérivés - la France dispose, de par ses patrimoines vitivinicoles séculaires, d'un véritable avantage concurrentiel en matière d'oenotourisme "de patrimoine". |
Pour favoriser une prise de conscience de la richesse de ces patrimoines, un inventaire des patrimoines vitivinicoles - à l'image de l'inventaire du patrimoine culturel, créé par Prosper Mérimée en 1840 - nous parait devoir être mis en oeuvre.L'inventaire serait d'abord un outil opérationnel d'identification des patrimoines. Il permettrait ensuite d'articuler de manière cohérente les nombreuses initiatives privées et publiques existantes (sites remarquables du goût, sentinelles Slowfood, chaire Culture et Vin de l'Unesco, chartes paysagères...). Il constituerait en outre un support de communication, de reconnaissance, d'incitation, de motivation, de pédagogie. Ce serait une première étape pour, millésime après millésime, vendanger nos riches patrimoines de la vigne et du vin. André Deyrieux
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