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Pléthore d’œnotourisme
Article du 07-06-2022

La pléthore. C’est désormais la voie sur laquelle s’engage l’œnotourisme, dont le territoire est maintenant amplement quadrillé par le label Vignobles & Découvertes créé en 2019 et fort de soixante-douze destinations. C’est par exemple une avalanche de cités du vin, dans la ligne de la Cité du Vin à Bordeaux. En Champagne se sont ouverts le centre immersif Pressoria (Pommery à Aÿ dans la Marne), le musée du vin de Champagne et d'Archéologie régionale à Reims (mais aussi le musée de la famille Carbot à Châlons-en-Champagne). En Bourgogne, il faut ajouter aux cités du vin existantes ou en cours (Chablis, Beaune, Mâcon) la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon. Idem pour le Jura qui entérine trois projets : le château Pécauld à Arbois, la Maison de la Haute-Seille à Château-Chalon, la Caborde à Orbagna. Il faut y ajouter des pôles œnotouristiques (projet de Chinon) ou des maisons des vins comme à La Chartre-sur-le-Loir (Sarthe), à Cairanne dans le Vaucluse, à Eauze dans le Gers avec la Maison du Vignoble ou au cœur de la Communauté de Communes Rhône Crussol. Du côté des caves coopératives, des maisons de négoce et des domaines privés, c’est un afflux de nouveautés ou de rajeunissements conséquents. Un nouveau site pour la Cave de Tain et Terre de Syrah ; une nouvelle architecture bien drapée pour la Maison Delas Frères ; un Caveau du Château, espace œnotouristique, pour la maison Guigal à Ampuis ; du nouveau aussi par exemple pour la maison de Cognac Delamain ou le château de Briacé, au Landreau. Les villes, leurs élus, ne veulent pas être en reste de l’attractivité vineuse et œnotouristique. À Dijon déjà citée, s’ajoute Valence qui plante quelques centaines de pieds de viognier dans un parc en bord du Rhône ; Voreppe agrémente de ceps la place de la mairie ; Paris avalise un projet de chai subaquatique dans le XVIe arrondissement. Aux villes, il convient d’ajouter les synergies territoriales de toute nature : de la Vallée de la gastronomie qui associe les vignobles de Bourgogne, du Beaujolais, des Côtes du Rhône et de Provence au très ancien projet transfrontalier de Moselle, en passant par le Canal du Midi, le contrat de destination Explore Cognac ou les vignobles des Itinéraires Culturels Européens. |
 Tous les moyens sont bons Bien-être, pédagogie, parc d’attraction, écotourisme... les thématiques se multiplient. Comme l’exprime un titre de Vitisphere : « Développer le tourisme vigneron pour vendre plus et mieux - Tous les moyens sont bons, ou presque, pour faire venir les clients au caveau... » Certes, les animations classiques se multiplient à l’image de la Jurançonada (balade viticole, poétique, musicale et instructive au Clos Lapeyre à Jurançon), mais on écume aussi les champs de l’originalité : ramassage et fête des sarments en Gironde ; soirées dégustation & astronomie au Domaine Coustarret à Lasseube ; dégustation de vin en état d’hypnose au Domaine de la ferme Saint-Martin dans le Vaucluse ; formation au sabrage de bouteille de champagne à la maison Pol Couronne. On multiplie les synergies avec la gastronomie et les produits de terroir, ou avec le spiritourisme ; c’est le cas du Gers avec l’armagnac, ou du château de Saint-Martin (Côtes de Provence), dont les Vinoscénies sont bien connues et qui a acquis la Liquoristerie de Provence pour développer ses activités touristiques. L’alliance avec la nature est tendance. Le Château Olivier (Pessac-Léognan) propose des bains de forêt ; le château L’Escarelle (Var) fait visiter son jardin de papillons ; les Vignerons Créateurs de Bellegarde (Gard) organisent des ateliers de reconnaissance de la flore spontanée ; le domaine Grosbois (Indre-et-Loire) invite à une exploration immersive de la viti-polyculture. L’œuvre d’art reste très cotée. Citons, outre l’inflation des chais d’architecte (comme à Saint-Émilion), la « Tour d’Or Blanc » symbolisant vigne et chenin en face du château d’Amboise ; ou le Belle Epoque Society de la maison Perrier-Jouët à Épernay. Les moyens de visite et de balade dans les vignes continuent à se diversifier : taxi londonien, side-car, Cadillac, véhicule hippomobile, Solex et buggy - et les nouvelles technologies qui entrent en jeu - drones, réalité virtuelle, gaming - varient encore les modes de découverte des vignobles. La diversification se poursuit dans la restauration : ainsi du restaurant Vigna, au Château La Martinette à Lorgues ; du restaurant éphémère au Clos de Vougeot ; du 25bis by Leclerc Briant. L’hôtellerie se développe. Citons les châteaux d’Agassac, Fourcas-Dupré et Léognan ; le château d'Arche (Sauternes) ; le domaine Walbaum à Vallon-Pont-d'Arc en Ardèche ; le Clos Dubreuil à Saint-Émilion ; la reconversion des casernes de Libourne ; le château Léognan et le projet d’œnotourisme de Parnay, près de Saumur (Maine-et-Loire). De plus en plus souvent œnotourisme et immobilier ont partie liée. Du château de la Barge (Crêches-sur-Saône) aux gîtes d’exception de la maison Chapoutier ; du Château Capitoul des Vignobles Bonfils dans l’Aude à la Résidence Eisenhower à Reims ; du Château Fonties dans l’Aude au Loisium Wine & Spa de Mutigny en passant par la maison Collery dans l’ancien Clos Saint-Georges à Aÿ. On croyait avoir fait, depuis quelques années, carton plein en matière d’événements, même si la pandémie a créé une parenthèse d’annulations et de reports. Il n’en est rien. Outre la diffusion dans différents vignobles du Fascinant week-end né dans la foulée des destinations Vignobles & Découvertes, et la généralisation d’événements collectifs comme les classiques portes ouvertes un peu partout, ils continuent à naître et à occuper les créneaux désormais bien remplis des calendriers. |
 Objectif différence Côté communication, l’œnotourisme a envahi internet et les réseaux sociaux, les guides (Le Petit Futé), les revues (Terres de Vin mais aussi les rubriques de tourisme et d’art de vivre de la presse d’information générale) ; il a ses trophées annuels et son projet de salon ; il est présent sur les aires d’autoroute (par exemple l’aire des Terres de Graves, sur l’autoroute A62, au sud de Bordeaux). Pour ce qui est des formations, près de dix-neuf cursus post-bac, jusqu’au master, ont été lancés ces dernières années. Enfin, journées et colloques se multiplient. Cette pléthore d’œnotourisme permet de s’adresser à des clientèles variées : des amateurs de vin aux simples visiteurs de sites touristiques, de la clientèle d’affaires et d’entreprise aux familles, des camping-caristes à la clientèle de luxe. Pourtant, une étude récente nous apprend qu’en Occitanie 69 % des opérateurs oenotouristiques ne sont pas satisfaits du nombre de visiteurs. La France, pays du vin et du tourisme, disait-on très fort naguère, ne fait pas le plein de visiteurs étrangers. Il faut dire qu’ils ont de plus en plus de quoi faire chez eux. Votre vignoble est-il suffisamment bavard ? Le mot pléthore est un terme à l’origine médical, du mot grec qui veut dire surabondance de sang. Certes, abondance de biens ne nuit pas, mais l’étymologie de notre pléthore nous enseigne qu’il peut y avoir pathologie : il y a pléthore quand il y a trop de la même chose. L’œnotourisme doit aujourd’hui faire face aux risques de l’interchangeable, du « trop de la même chose ». Sur un même territoire se concurrencent des sites et des offres semblables. Plus grave, nos vignobles manquent de lisibilité quant à leur différences géohistoriques. En quoi chaque vignoble est-il spécifiquement attractif ? Quelle est sa personnalité propre ? Le sens du sang et de l’ADN du vignoble circulent-ils ? Pour chaque vignoble, c’est ce travail de mise en avant de ses patrimoines œnoculturels et de son histoire viticole propre, de son storytelling, cet effort de valorisation de sa personnalité et de sa différence, qui peuvent le rendre visible, lisible et attractif pour un public de visiteurs curieux et cultivés, beaucoup plus large que celui des œnophiles. Parce que bientôt, petite prophétie pour conclure, ce n’est plus du vin que dépendra l’avenir de l’œnotourisme, mais de l’œnotourisme que dépendra l’avenir du vin.
(À lire : Qu’est-ce qu’un vignoble ? http://www.winetourisminfrance.com/fr/magazine/2280_qu_est_ce_qu_un_vignoble.htm) |
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