On va plus passer ses vacances à Arles ou près de la Sainte-Victoire que dans les Bouches-du-Rhône. On va plus dans l’île de Batz ou la baie d’Audierne que dans le Finistère, au Mont-Saint-Michel que dans la Manche. Pourtant, bien souvent, les départements restent des cadres de référence qui ont du sens pour parler de tourisme. Ainsi, on passe volontiers ses vacances dans le Var, le Gers, ou le Vaucluse. Il en est ainsi pour le Gard, un département riche qui fait partie de la région Occitanie, tout en étant à cheval sur le Languedoc et la vallée du Rhône.
Pour ce qui est du tourisme dans les vignes, les visiteurs (et même les résidents) trouvent les choses assez compliquées. Appellations ou IGP ne sont pas forcément des cadres faciles à appréhender. Prenons l’exemple du Gard justement, le département rhodanien et méditerranéen de l’Occitanie. Il compte les appellations : clairette-de-bellegarde, costières-de-nîmes, côtes-du-rhône, côtes-du-rhône villages Chusclan, côtes-du-rhône villages Laudun, côtes-du-rhône villages Saint-Gervais, côtes-du-vivarais, duché-d'uzès, languedoc, languedoc dénomination Sommières, lirac, pic-saint-loup (une très petite partie), tavel. S’y ajoutent les vignobles IGP cévennes, coteaux-du-pont-du-gard, gard, pays-d'oc, sable-de-camargue, terres-du-midi. Ces désignations offrent une certaine complexité qui est le reflet de réalités – cépages, géologie, climats, viticultures… –qui méritent d’être connues et étudiées.
On peut offrir une meilleure compréhension des vignobles du Gard (ou d’autres départements) en mettant en lumière, derrière cette diversité, les caractères des vignobles. Dans le Gard, ce ne sont pas moins de cinq vignobles qui affirment chacun leur personnalité originale.
Bien sûr, pour « lire » leur génie particulier, il faut regarder au-delà des données historiques partagées par tous les vignobles. Les Romains, la voie Domitienne, les moines, le grand hiver de 1709, le phylloxéra, la vente des biens nationaux, les fortunes et les révoltes, la polyculture (céréales, arbres fruitiers, garance, oliviers…) et la polyactivité des campagnes (pastoralisme, ver à soie, tissus, sel, charbon et minerais…) ont partout contribué à forger les vignes françaises. Il faut aller au-delà aussi des filtres, des parasites, des voiles – les zones urbaines récentes, les axes de communication contemporains, les transformations « modernes » des paysages - qui nous empêchent de voir les géographies originelles et fondamentales : les cours d’eau, les reliefs, les ressources du sol…
Un vignoble est la résultante – depuis le néolithique et jusqu’à aujourd’hui – d’une logique géographique unique et d’une dynamique historique particulière. Cette compréhension est indispensable aujourd’hui, alors que chacun risque de devenir un « nowhere man, sitting in his nowhere land » (Nowhere Man du Yellow Submarine).
Péage
Le vignoble des Côtes du Rhône gardoises garde la rive droite méridionale du Rhône. Ce fut un axe de passage et de commerce qui permit aux vins grecs et aux vignes romaines (attestées sous le camp de César de Laudun et à Saint-Gervais) de remonter à l’intérieur de la Gaule. Ce fut aussi un lieu de traversée à Pont-Saint-Esprit, longtemps le seul pont permettant de traverser le Rhône entre Lyon et Avignon. La marquise de Sévigné passait par là pour rejoindre sa fille à Grignan et appréciait les vins de Chusclan. Louis XIII en route pour le siège d’Alès en 1629, se vit offrir du vin par les édiles de Pont-Saint-Esprit. Ce fut aussi une pointe avancée du royaume de France, le Rhône étant longtemps une frontière, avec en face des états souverains : le comté de Provence jusqu’en 1482 ; la principauté d’Orange jusqu’en 1713 ; l’Avignon des Papes (1309-1377) et le Comtat Venaissin définitivement rattachés à la France en 1791. C’est sur le port fluvial – et péage fortifié – très actif (notamment pour les vins de Lirac), de Roquemaure, que naît la marque CDR : elle est apposée dès 1731 sur les barriques de vin de la Côte du Rhône, au singulier comme on disait à l’époque. Que dans ce vignoble soient nées les appellations d’origine - notamment sous la houlette du Baron Le Roy, vigneron en face à Châteauneuf-du-Pape, mais aussi de Henri de Régis de Gatimel à Lirac - n’est pas étonnant et on compte parmi les premières appellations reconnues d’appellation contrôlée Tavel et Châteauneuf-du-Pape en 1936, puis les Côtes-du-Rhône en 1937. Fait plus dramatique, c’est ici que l’on a constaté, sur la commune de Pujaut, les premières atteintes du phylloxéra, en 1863. La rançon d’un rôle historique de plaque tournante de la viticulture et du commerce du vin.
À l’ouest de la côte du Rhône gardoise, bordé par les premiers contreforts des Cévennes, un vignoble, autour du promontoire d’Uzès, hérite de la place stratégique et de l’histoire de ce duché et diocèse. Racine qui vint à Uzès dans sa jeunesse, s’il n’apprécia pas le chant des cigales, qualifia en revanche dans sa correspondance le vin local de « meilleur du royaume ». La famille toujours existante de Crussol a hérité du plus ancien titre ducal et de la plus ancienne pairie de France. C’est d’Uzès que venait l’eau qui alimentait, par le Pont du Gard, l’antique Nîmes ; la Compagnie Bachique du Duché d’Uzès marque la différence en portant comme devise Vino non aqua.
Le vignoble du piémont cévenol et de ses vallées est celui d’une viticulture qui a une longue tradition d’irréductibilité, des guerres de religion à la Résistance, des cépages interdits à l'événement récemment créé « Les Vignes Réboussières » (de l’occitan réboussier, contrariant). Suite au phylloxéra, les hybrides producteurs directs trouvèrent plus de succès que les plants greffés : ils sont « accrochés culturellement » au territoire. Les vignobles de piémont ont pour caractéristiques d’être « en commerce » avec le « haut pays » et des ressources utiles (bois, forêts) pour les vignes et le vin. C’est ici une viticulture familiale qui s’inscrit dans une polyculture, avec mûriers en bout de vigne, châtaigniers (qui fournissaient aussi le bois des tonneaux), ruchers… et exploite chaque partie du territoire. « Dans les Cévennes, la vigne est un membre de la famille » a écrit Jean-Pierre Chabrol.
Le vignoble de – comme disent les géologues – la Costière s’élève au-dessus de la Camargue entre deux grands sites de pèlerinage, de foire, de commerce : Saint-Gilles et Beaucaire. On imagine mal aujourd’hui que ces deux villes étaient des ports reliés au commerce méditerranéen. On ne se rend plus compte de leur importance commerciale, égale à celle des grandes foires de Champagne.
Saint-Gilles se trouvait à l’aboutissement de la voie Regordane, axe prédominant de communication entre Paris, le Massif central, la Méditerranée, Rome et la Terre sainte à l’époque où le Rhône était hors du royaume de France (jusqu’en 1308). Saint-Gilles était un grand lieu de pèlerinage – sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle - et donc d’importance économique avec notamment sa foire de septembre. Les vins étaient réputés, appréciés par les papes d’Avignon. Le mourvèdre portait alors le nom de plant de Saint-Gilles. Beaucaire, au confluent du Rhône, du Gardon (puis du canal de Sète au Rhône), dut sa richesse à sa foire annuelle de juillet, chantée par Frédéric Mistral dans le Poème du Rhône, et ce jusqu’à l’arrivée du chemin de fer (en 1839). Son vin du Génestet (né en bordure de la via Domitia) abreuva les assiégés de Beaucaire lors de la croisade des Albigeois en 1216. Au-delà de ces périodes, et sans remonter jusqu’à un paléolithique très actif, le vignoble des Costières de Nîmes est lié à la puissance de la Nîmes antique, et à l’installation des vétérans de la bataille d’Actium. Férias, et événements œnogastronomiques ont pris le relais des événements populaires d’antan.
C’est un axe vineux, comme le fleuve côtier du Vidourle qui se jette à Aigues-Mortes, ou comme la voie du sel qui remonte vers les Cévennes. Il relie Sommières, capitale des verriers, marché aux vins et gare viticole ; Calvisson, l’endroit où, au VIIe siècle avant notre ère, grâce à des visiteurs étrusques arrivés à l’ancien port du Cailar, l’on but du vin pour la première fois en France ; l’abbaye médiévale de Psalmody ; des vignobles réputés dans l’histoire comme Langlade ; les sables côtiers de Camargue qui firent d’Aigues-Mortes une capitale viticole au moment du phylloxéra ; Aigues-Mortes seul port du royaume de France sur la Méditerranée à l’époque de Saint-Louis.
Le Rhône et son verrou de Roquemaure pour les Côtes du Rhône gardoises ; le promontoire d’Uzès pour le vignoble éponyme ; le piémont et les vallées cévenoles pour le vignoble des Cévennes ; la Costière de Nîmes qui s’élève sur l’axe Beaucaire – Bellegarde – Saint-Gilles ; la plaine littorale et ses accès sans obstacles (dont l’ancien port du Cailar) pour le vignoble de Vidourle-Camargue. Autant d’éléments qui engendrent des logiques géographiques et des dynamiques historiques différentes. Les personnalités des vignobles se développent sur des sites de force et d’énergie ; des lieux de pouvoir ou de résistance (comme Uzès et les Cévennes), des lieux d’accès, de passage, d’échange, de commerce (comme les Côtes du Rhône gardoises, les Costières de Nîmes, le Vidourle et la Camargue).
Pistes d'œnotourisme
Les visiteurs œnotouristes sont les bienvenus. D’autant que les vignobles du Gard – et leur économie - ont été récemment touchés (malheureusement comme d’autres) par des aléas climatiques importants : inondations (les fameux épisodes cévenols), grêle, incendies et tout récemment des températures caniculaires qui ont littéralement brûlé certaines vignes – on a relevé ainsi le 28 juin 2019, le record historique absolu de 45,9 °C à Gallargues-le-Montueux. Si un travail reste à faire pour valoriser les patrimoines œnoculturels authentiques de ces différents vignobles qui racontent bien des histoires particulières, citons quelques étapes œnotouristiques incontournables.
En piémont cévenol, l’événement du Volo biou, à Saint-Ambroix en juillet et des Vignes Réboussières en octobre.
À Nîmes, le Wine Bar Cheval Blanc de Michel Hermet (www.winebar-lechevalblanc.com) ; le musée de la Romanité qui conserve le canthare dans lequel on but du vin pour la première fois en France (https://museedelaromanite.fr/le-parcours-permanent). Dans les Costières de Nîmes, les événements des Vignes Toquées en mai et de Nîmes Toquée en novembre.