Les vignes de la haute vallée de l’Orb

Article du 27-06-2022

Transport du vin, configurations optimales de pente, d’altitude, d’exposition et de drainage, utilisation idoine de parcelles viticoles dans la polyculture et la polyactivité traditionnelles de nos campagnes... on sait le rôle des rivières et fleuves dans la fortune des vignes.

 

Mais les cours d’eaux sont aujourd’hui peu connus même s’ils sont un peu moins maltraités.

On les longe, on les franchit et on les traverse sans les voir ; on y rame et on s’y baigne parfois ; on n’imagine plus leur importance économique traditionnelle.

 

Prenons l’Orb. Qui sait que c’est un fleuve ? Un fleuve côtier comme il y en quelques-uns en Languedoc et en Roussillon. Né dans l’Aveyron, d’une longueur de 135 km,  avec - excusez du peu - cent-huit affluents, parfois de simples ruisseaux, dessinant vallons ou vallées, comme le Gravezon (Joncels), la Mare (Villemagne-l'Argentière) et le Jaur.

Vers Roquebrun il rejoint la plaine biterroise avant de se jeter dans la Méditerranée. En amont, la cohérence géohistorique de sa vallée lui a fait susciter un vignoble doté d’une personnalité à part, nommée aujourd’hui IGP de la Haute-Vallée de l’Orb et riche d’une quinzaine de vignerons. Elle va d’Avène aux portes de Roquebrun, au hameau bien nommé de Ceps - au cœur des montagnes environnantes : l’Espinouse et le Caroux au nord, les Avant-Monts au sud, les monts d’Orb et l’Escandorgue d’est en ouest.

 

Qui dit vignoble dit bien souvent impulsion, à l’époque médiévale, des monastères qui ont suscité une riche vie économique. C’est le cas ici aussi avec l'abbaye de Villemagne-l'Argentière ou l’abbaye de Joncels, fondée dès le VIIe siècle, qui fut l’une des plus importantes du Languedoc ; la charte de coutume de Joncels, rédigée en 1453, règlemente bien des points de la vie locale, dont les vendanges. Une partie du village s’y est installée plus tard et a laissé quelques traces de son activité viticole comme des trappes pour les vendanges et un pressoir. Dès cette époque, la vigne fournit la production locale mais aussi les marchés proches dépourvus, en Cévennes et sur les Causses, de viticulture ou de bon vin : un arrêté du XIVe siècle interdit de mélanger « le bon vin de Bédarieux avec celui des Rouergats ».

La haute vallée de l’Orb a vite révélé un riche sous-sol source de prospérité : mines de charbon (et de nombreux mineurs de tout temps cultivèrent un jardin de vignes) ; mines de plomb argentifère (Villemagne-l'Argentière) ; fours à chaux (comme celle de La Tour-sur-Orb), gypses et plâtres de Joncels, eaux thermales de Lamalou et d’Avène (ces dernières dédiées aux soins et au bien-être de la peau, tout-à-fait compatibles donc avec une dégustation de vins). Viticolement parlant, c’est un déferlement de conditions pédologiques diverses ; tous les types de roches y sont représentés, dit-on. Le départ des charbonnages a même donné lieu à la plantation de vignes en moyenne altitude sur les anciennes houillères.

 

Utilisée dès l’antiquité pour les transports et les déplacements, la vallée a vu son importance devenir cruciale avec l’arrivée, au dernier quart du XIXe siècle, du chemin de fer, encouragée par le thermalisme à Lamalou-les-Bains, l’exploitation du charbon, et le commerce du vin.

La vallée illustre la guerre commerciale que se livrèrent les compagnies de chemins de fer pour emporter le marché de la manne viticole. L’ouverture de la section de Béziers à Neussargues en 1875 permit à la compagnie du Midi de ravir le monopole du transport de vin au PLM, en proposant un trajet pour Paris de 799 km contre 804 km par la ligne de Nîmes à Clermont. Elle conservera cet avantage jusqu’en 1908. Bédarieux est alors un carrefour ferroviaire important. On voit à Joncels l’usine électrique construite dans les années trente pour alimenter la ligne. La cuvée Camarade du Domaine de Gravezon (Éric Paillès, à Joncels) soutient aujourd’hui le comité de défense de cette ligne historique (et utile).

Mais la vallée a aussi joué un rôle logistique considérable dans l’économie viticole de la plaine biterroise en pleine expansion à la fin du XIXe siècle. Le Bousquet-d’Orb, Hérépian, produisaient des bouteilles et des dames-jeannes. Les châtaigneraies (encore présentes) fournissaient cercles de barrique (comme à Saint-Gervais-sur-Mare) et piquets ;  au XIXe siècle le marcottage est remplacé par la plantation directe de ceps qui demande de fortes quantités de tuteurs et de piquets. La petite construction mécanique produisait des clous (Graissessac) pour la maréchalerie, liée à l’utilisation des chevaux dans les vignes, mais aussi des sonnailles pour les moutons qui assuraient la fumure et le nettoyage des vignes jusqu’au printemps.

 

Cette vallée et ses petits affluents ont une physionomie Massif Central méditerranéen si on nous permet cette hybridation ; la tuile remplace les lauzes en schiste, les chênes et châtaigniers cohabitent avec les cerisiers et les oliviers, le pastoralisme rencontre la vigne. Les paysages (qui appartiennent au Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc) sont riches en surprises : ruffes rouges à Joncels, étagères (terrasses), murets, clapas (immenses tas de pierre, par exemple près de l’aérodrome de Bédarieux), vignes d’altitude (au mont Sénégra au Bousquet-d’Orb), capitelles du causse de Bédarieux ; village médiéval de Boussagues, sur le ruisseau de Hortes ; pierre du sacrifice (pressoir) de Lunas.

 

La vallée est  aussi une constellation de chapelles, parfois lieux de pèlerinage, que des initiatives privées - tels Les Compagnons du Sens animés par Frère Marie Pâques souhaitent restaurer. On connaît Frère Marie Pâques et l’action qu’il a menée de nombreuses années pour le rayonnement viticole et œnotouristique de l’Abbaye de Lérins ; le voici revenu en terre natale. Le but est spirituel, mais la volonté de développement local est importante, en même temps que le souhait de faire découvrir des lieux, paysages et panoramas pleins de beauté et d’affirmer avec une fierté justifiée la personnalité de la haute vallée. Citons Notre-Dame de Nize à Lunas (deux cuvées, Joie et Paix, ont été créées pour apporter un financement à sa restauration), Notre-Dame de Capimont (XIIe siècle) sur un promontoire dominant la vallée et Lamalou-les-Bains, mais aussi Saint-Michel de Mercoirol ou Saint-Pierre de Rhèdes. La fontaine des yeux, près de la chapelle Notre-Dame-de-Nize, curiosité de dévotion populaire, complète cette vallée de spiritualité qui comprend également un monastère orthodoxe et un centre bouddhique. Pour le tourisme et l’économie locale, cette facette est importante ; selon l'Organisation Mondiale du Tourisme, 37% des déplacements internationaux sont liés au tourisme culturel - dans lequel les aspects religieux et spirituels ont une bonne part.

 

Si les vins de la haute-vallée de l’Orb sont actuellement en IGP (obtenue grâce à des vignerons comme François Potier et Henri Cros, aujourd’hui présidée par Emeric Mas), il s’avère que le dossier pour l’AOC est bouclé. La personnalité des vins - issus de nombreux cépages - tient à ces terroirs offrant des maturités longues sans excès de température, et des jeux de fraîcheurs et d’aromatiques riches. N’a-t-on pas décrit le vignoble comme « la vallée des arômes » ? Pour converser avec les vins, il ne manque pas de produits de terroir : chevreuils et sangliers détestés des vignerons, mouflons de la montagne du Caroux, safran, miel, fromages ; l’ensemble de la haute vallée est en AOC Roquefort (brebis) et en AOC Pélardon (chèvre).

Comme partout en France, c’est une foule de dénominations qui s’abat sur la géographie touristique et les touristes éberlués. On parle ici de Haut-Languedoc-et-Vignobles, de pays des Monts et des Sources, de communauté de communes Grand Orb... Tout cela est très bien - en souhaitant que les rôles soient précisément répartis - mais on préfèrera parler à l’ancienne, selon la simple leçon de l’histoire-géo, de haute vallée de l’Orb. Storytelling millénaire de l’univers de la vigne, paysages variés et surprenants de moyenne altitude, palette attractive des vins, amour des vignerons... Face à la pléthore actuelle des initiatives œnotouristiques un peu partout

(voir article http://www.winetourisminfrance.com/fr/magazine/2312_plethore_d_notourisme.htm), la haute vallée de l’Orb a en main de quoi faire fructifier le sens et les talents de son coin de la planète vin. Que n'y manque pas maintenant l’unité de l’action humaine !

 

Bonnes adresses

 

A Joncels, parmi les cerisiers autrefois omniprésents (notamment la variété bigarreau Napoléon), le domaine de Gravezon d’Éric Paillès, sanctuaire de cépages oubliés plantés avant la Première Guerre, dûment identifiés par l’Inrae en 2020.

À Hérépian, la cave des Coteaux de Capimont (15 vignerons apporteurs) - dirigée par Brice Lalanne - se présente comme une grande cave particulière. On apprécie les cuvées Nuits Blanches et Nuits Bleues.

www.coteaux-capimont.fr

À Bédarieux, le vigneron Vincent Bonnal (Domaine de Pelissols) élabore des vins atypiques dont un clairet friand.

http://pelissols.com/

A La Tour-sur-Orb, Gaël Jouvet (Domaine Jouvet), joueur de cornemuse, élabore notamment une cuvée excellente qui porte le nom de la cornemuse - en peau de chèvre - du Haut-Languedoc, la boudègue.

https://domainejouvet.wixsite.com/domainejouvet

Sur Dio-et-Valquières, dans le val du ruisseau de Nombringuières, affluent de l’Orb, les Belges Koen Thenaers, Paul Willems et Mark Schlettekat installés depuis 2011 au mas de la Doux, produisent avec La Roche Percée des vins emblématiques (cuvées Blanc et Rouge) de ce terroir volcanique de basalte et de ruffes rouges.

www.masdeladoux.com

 

Mais aussi, à Vieussan, Jérôme Audier ; à Ceps (Roquebrun), le domaine du Vieux Chai de Sophie et Florence, avec l’animation œnotouristique « Découvrez les secrets du vin » ; au Pradal, le Mas des Mesures ; à Joncels, le domaine de Bon Augure.

 

Hébergement

Eau Thermale Avène l'hôtel

Dans son magnifique écrin de verdure et de fraîcheur

https://www.eauthermaleavene-lhotel.com/

 

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