 Tous les historiens s’accordent à souligner le rôle qu’ont joué dès le VIe siècle de notre ère les monastères dans le développement de la viticulture européenne. Créer un vignoble - même dans les zones les plus septentrionales ou les moins bien dotées pour une viticulture de qualité - était rendu nécessaire par plusieurs obligations : le rôle sacré du vin dans les célébrations eucharistiques ; son usage pour les repas des moines (la fameuse « hémine » quotidienne du moine - 27 cl de vin - selon la règle de saint Benoît, imposée en 817 à tous les monastères) ; son rôle social pour l’accueil et l’alimentation des pélerins et voyageurs ; son rôle, avec des additifs divers, de panacée médicinale ; son utilisation enfin comme monnaie d’échange pour d’autres biens et denrées nécessaires. Les religieux ou laïcs qui passaient par le monastère ou venaient y vénérer les reliques de tel ou tel saint ne manquaient pas de faire des dons, et il était de bon investissement commercial que les vins servis - ou offerts en cadeau - soient d’une qualité qui a traversé les siècles… Aujourd’hui, plus d’une centaine d’appellations de vin ont un lien direct avec une origine monastique. Les monastères ne produisaient pas que du vin, et il ne faut pas manquer d’élargir notre compréhension de l’activité « terrestre » des monastères à bien d’autres secteurs d’agriculture et d’industrie sans quoi on risque de méconnaître leur rôle historique dans ce qu'on appelle de nos jours l’aménagement du territoire… « Ora et labora » (« Prie et travaille ») fut la devise des monastères qui furent durant douze siècles des foyers d’activité certes spirituelle, bien évidemment culturelle et artistique, mais aussi économique. |
Les monastères menèrent avec une organisation digne des fabriques du XVIIIe siècle ou des usines du XIXe des activités agricoles, artisanales, manufacturières et préindustrielles considérables, nombreuses et souvent - du fait de leur isolement dans des zones reculées et des solitudes forestières - pionnières. Défrichement, exploitation du bois, des carrières et de diverses matières premières (sel, métaux, minerais…), production d’énergie (moulins à eau) ; construction de bâtiments, de fortifications, de fours, de glacières… ; ateliers de métallurgie, de verrerie, de céramique, d’armurerie, d’argenterie, de cuir ; assainissement de marécages, pisciculture, élevage, culture de vergers et de jardins de simples et de plantes aromatiques et médicinales, brasseries et cuisines… la liste est longue, et loin de figurer en totalité dans l’admirable parchemin de Saint-Gall qui décrivit au début du IXe siècle le plan du monastère idéal. Tous ces travaux - qu’il est passionnant de raconter à des œnotouristes curieux et cultivés - étaient évidemment bénéfiques pour l’activité viticole elle-même : le bois pour la tonnellerie et la construction de pressoirs, la forge pour les outils, l’élevage pour la fumure, les chevaux pour les labours, les pierres pour l’édification des celliers, les jardins pour l’élaboration de vins toniques ou médicinaux, la botanique pour les essais sur les cépages… La viticulture n’était qu’une partie des activités économiques monastiques, mais si elle a laissé une empreinte persistante, un héritage lourd, c’est que les savoir-faire viticoles et œnologiques des moines était grand, et que le vin en soi, à lui seul, est civilisation… Bibliographie Abbayes et monastères aux racines de l'Europe. Identité et créativité : un dynamisme pour le IIIe millénaire - Paul Poupard, Bernard Ardura, Paris, Le Cerf, 2004 La Religion industrielle : Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l'entreprise - Pierre Musso, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2017 |