Châteaugay - Tentative d'épuisement d'une cave

Article du 07-08-2017

On connaît le roman « Tentative d'épuisement d'un lieu parisien » dans lequel Georges Perec s'était fixé l'objectif de décrire la place Saint-Sulpice à Paris, tout ce qui s'y passe et y passe.

En laissant Stéphane Bonjean nous entraîner dans sa cave de Blanzat, au nord de Clermont-Ferrand, creusée dans le basalte, c'est tout le vignoble de l'appellation Châteaugay en Côtes d'Auvergne - sur le coteau exposé au sud et à l'est en bordure de la plaine de la Limagne - que le vigneron et président du syndicat viticole des vignerons de Châteaugay - nous a ouvert comme un livre.

Canu, tassou, bousset

Ainsi de ces pièces de monnaie qui parsèment les voûtes et les recoins. Les passants, les amis descendaient à loisir dans la cave pour y boire un verre et laissaient ainsi leur obole. « Ven bure un canu » lançait le propriétaire (« Viens boire un canon »). Oui, on parlait occitan dans le Puy-de-Dôme. Le vignoble des Côtes d'Auvergne est en zone de langue d'oc, celui de l'appellation Saint-Pourçain en zone de langue d'oïl, et les vignobles de la côte roannaise et des côtes du Forez en pays de francoprovençal. Cela marque déjà une petite différence entre eux...

Le visiteur s'emparait d'un tassou (tastevin) en argent dont le fonds était parfois décoré d'une pièce de monnaie ; il y en avait un en bois pour les enfants. Le tassou est l'emblème de la Confrérie des Chevaliers de la Saint Verny tandis que le bousset est celui de la Confrérie des Compagnons du bousset d'Auvergne. Les boussets sont des tonnelets portables de diverses contenances qui servaient par exemple à désaltérer les vendangeurs.

L'ancienne vie du village se dévoile aussi avec, accrochée à un pilier de basalte tordu comme un vieux noyer (peu désiré pourtant dans les vignes), cette sculpture d'une pipe qui servait de cendrier ; c'est en effet dans une cave ou une autre que se tenaient les réunions enfumées des hommes (celles des femmes se passaient au lavoir).

La personnalité des tonneaux

Dans la cave, au-dessus de laquelle se tenait autrefois le pressoir, une dizaine de tonneaux - des pièces de 228 litres - est à l'abri d'une température constante et fraîche. Ils ne sont pas avares d'histoires - oenologiques en l'occurrence - eux non plus : certaines pièces dont la douelle est fendue près de la bonde offrent une oxygénation supérieure, et l’action de chacune d’entre elles, comme autant de personnalités différentes, se distingue selon sa place dans la cave, son éloignement de la porte, sans parler de sa conception même et du tonnelier qui les a fabriquées.

Pépérites

La cave elle-même, au bas d'une volée d'escalier - les tonneaux étaient autrefois descendus et remontés à la corde - raconte ici la géologie volcanique de Châteaugay. Comme les autres, elle est creusée dans le basalte. Dans certaines couches de basalte seulement... certaines autres étant impossibles à miner. Les caves étaient souvent creusées à la verticale dans l'espoir de tomber sur une ancienne poche de gaz volcanique (vide) formant une grotte et donc, à peu de frais, un espace de cave supplémentaire.

Là, dans une niche sombre de la cave, d'énormes œufs noirs : des bombes volcaniques. La passionnante histoire de Châteaugay parle de lacs et de calcaire (il y a 28 millions d'années) ; de volcans en éruption et de basalte (il y a entre 100 000 et 8 000 ans pour ce qui concerne la chaîne des Puys), et d’une particularité de Châteaugay, un « pudding » de basalte et de calcaire - les pépérites, qui donnent une note poivrée aux gamays de Châteaugay. Le basalte est aussi bien sûr celui des maisons et constructions vigneronnes et la décoration des piliers des portails, ainsi que leurs chapeaux, indiquaient la plus ou moins grande fortune des familles. Car fortune il y a eu !

La fortune du vignoble

Le vignoble de Châteaugay, tout proche de Marsat dont Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, vantait les vins au Ve siècle, est connu à la Cour au XIVe siècle. Il se commercialise encore plus à Paris avec la création du canal de Briare (1642), figure sur les cartes de Cassini (au XVIIIe) et sur le cadastre napoléonien (1809).
Il connaît une forte prospérité quand la ligne de chemin de fer Clermont - Paris s’ouvre en 1856, et lorsque le phylloxéra décime les autres vignobles français. En 1890, la vigne constitue le principal revenu de Châteaugay ; le Puy-de-Dôme est le troisième plus grand producteur de vin en France, après l'Hérault et l'Aude. Il produit à lui seul plus de vin que la Bourgogne !

De cette prospérité témoignent les belles maisons de Châteaugay et les caves troglodytes parfois immenses (telle la cave du Domaine Rougeyron) de la bien nommée rue des Caves.

La suite sera moins rose : le phylloxéra atteint le vignoble auvergnat en 1900 ; le mildiou arrive en 1910 ; la crise économique frappe en 1929 (au moment où une appellation est reconnue au vignoble de Châteaugay) et le développement de Michelin draine la population viticole vers les usines.

Une renaissance progressive a conduit en 2010 à la reconnaissance d’une appellation Côtes d'Auvergne, avec cinq crus dont, sur 64 hectares, Châteaugay qui couvre les communes de Châteaugay, Cébazat et Ménétrol.

Mais raconter l'histoire ne suffit pas, il faut aussi l'écrire. A l'image du sculpteur de land art Thierry Courtadon qui marque de ses éruptions de dentelle de pierre ces anciennes terres volcaniques. Stéphane Bonjean (qui prodigue aussi son expertise au vignoble vietnamien) ne manque pas de projets : d'abord la plantation d'une belle parcelle sous le quartier des caves, avec une vue magnifique et une « tonne » (cabane ou « t'sabanne » de vignes) unique par son architecture en ogive, un projet qui vise à accueillir de nombreux parrains épicuriens. Ensuite, un projectif collectif pour la petite dizaine de vignerons châteaugayres sur le Montquérier...

A Châteaugay, une énergie volcanique continue à bâtir le vignoble...

www.facebook.com/stephane.bonjean.7

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