Le rôle méconnu des belvédères sur vignes

Article du 10-12-2017

Offrir un belvédère, un lieu d’où l’œil du touriste peut embrasser une belle vue sur un paysage est l’une des tâches les plus anciennes de l’offre touristique. Le belvédère et le panorama ont largement été favorisés par le Touring Club et l’Automobile Club de France, tous deux créés juste avant 1900. Ils sont à l’origine des très nombreuses tables d’orientation au plateau de lave émaillée installées dès les années 20.

Les belvédères sont pourtant encore peu présents dans nos vignobles. S’il existe bien des collines et des coteaux célèbres (1), les balcons devraient être plus nombreux à proposer les vues esthétiques, viticoles et culturelles que recherchent les touristes de la vigne et du vin.

Le premier intérêt du belvédère est bien sûr de procurer une satisfaction esthétique. Stendhal va jusqu’à écrire : « J'ai recherché avec une sensibilité exquise la vue des beaux paysages; c'est pour cela uniquement que j'ai voyagé. Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme » (2). Plaisir d’autant plus important lorsque le point de vue sait surprendre en offrant, soudainement, un panorama inattendu au voyageur. Il y a du spectacle dans le belvédère… C’est ce qui explique qu’un expert en mise en scène de sa gloire et de ses œuvres, Louis XIV, prit lui-même la plume, à plusieurs reprises, pour décrire le circuit qu’il fallait suivre et les points de vue qu’il fallait admirer lors d’une visite - très guidée - des jardins de Versailles.

« Quand on sera au point de vue, on y fera une pause pour considérer (…), à gauche Bacchus »
Louis XIV, Manière de montrer les jardins de Versailles, 1695

Mais la jouissance esthétique, c’est plus qu’une vue grandiose ou pittoresque : le belvédère plonge l’observateur dans un milieu au rythme nouveau, un environnement particulier de sons, d’odeurs et de sensations - d’autant que son approche nécessite parfois un peu d’effort physique mettant en jeu le corps tout entier.

Le belvédère ne nécessite pas une altitude très élevée. Telle petite éminence dans le vignoble de l’appellation Châtillon-en-Diois suffit à voir de nombreux cabanons de vignes et ceux qui vont, viennent et travaillent dans l’écrin d’une agréable vallée. D’ailleurs l’altitude moyenne des vignobles de France rendrait vaine leur contemplation depuis un haut sommet : Rangen, le plus élevé des vignobles d’Alsace, culmine à 455 m ; Château-Chalon offre depuis ses 500 m le chatoiement des vignes de la reculée de Baume-les-Messieurs.

Le paysage à livre ouvert

De ces faibles altitudes, les belvédères peuvent aussi apporter une riche lecture du vignoble qui accroît encore le plaisir esthétique. Ils sont des postes d’analyse et de compréhension de l’activité vigneronne millénaire, et les appellations viticoles sont de plus en plus nombreuses à les « équiper » de panneaux explicatifs… On peut aujourd’hui aller plus loin avec les nouvelles technologies numériques (QR Code, réalité augmentée…) pour enrichir d’une plus-value culturelle et scientifique les paysages. Regarder un paysage c’est lire une topographie et des climats, discerner des sols et des géologies, et comprendre l’accumulation des interventions humaines. C’est suivre une histoire ou remonter le fil du temps, saisir la vie de la nature éternelle et parcourir le cycle des saisons. Un point de vue permet ainsi à l’œnotouriste une familiarisation avec un vignoble, une prise de contact moins intimidante qu’une visite directe aux vignerons. C’est donc l’opportunité d’attirer de nouvelles clientèles dans nos chais, châteaux et domaines.

Le belvédère est aussi un lieu de repos, de pause et de méditation. Mais c’est également un espace d’animation et de fêtes, un lieu original d’expériences œnologiques et de dégustations ; on rejoint ainsi l’époque où certaines collines étaient - comme Montmartre - des lieux de culte à Bacchus

C’est enfin un atout en termes de communication et de buzz. Par exemple, lorsqu’ils sont aménagés de manière originale, « c'est une excellente idée pour communiquer », confie le photographe Pierrick Bourgault à propos d’un domaine de Valpolicella, Masi Agricola : « les clients en raffolent, ils se prennent tous en selfie - et font de la pub pour Masi dans leur réseaux sociaux ».

On a pour habitude de distinguer trois catégories d’œnotouristes : les amateurs et connaisseurs de vins, les épicuriens, et les curieux gourmands de culture et de patrimoines. Il faut reconnaître que le belvédère répond aux attentes de chacune d’elles.

Œnocurieux romantique 

On comprend donc que des acteurs de l’œnotourisme (3) aient décidé de créer un prix – le Prix Vue sur Vigne du plus beau belvédère sur les vignobles - pour encourager, valoriser et distinguer les initiatives en ce domaine !

Pour Eric Artiga, du cabinet Teloa (Ingénierie touristique, étude et conception de projets oenotouristiques pour domaines et territoires viticole), « le point de vue, le belvédère, c’est pour le grand public en quête de découverte, de sens et d’émerveillement, le but d’une balade, d’une déambulation curieuse au cœur d’un vignoble… Même si l’effort ne doit pas être la condition d’obtention de ce regard sur le paysage viticole, le belvédère peut revêtir l’aspect d’un point d’orgue de promenade, que celle-ci soit plus ou moins enrichie de contenus de découverte ou d’interprétation (carnet de balade à la main, sentier « connecté »...), accessible en autonomie ou accompagné d’un médiateur (guide, conteur...). Sur l’échelle de gradient, le point de vue doit être synonyme de l’appréhension par les visiteurs de ce que signifie le travail du vigneron en tant que garant du maintien des paysages de vignes qu’affectionnent particulièrement les œnotouristes. Chacun, ainsi, s’octroiera la chance, le délice, l’espace d’un instant, de se fondre dans la peau ou l’habit d’un « Voyageur au-dessus d’une mer de nuage », célèbre tableau de l’artiste Caspar David Friedrich… Oenocurieux devant un paysage de vigne… une image agréablement empreinte d’un certain romantisme… ».

 

A lire, à suivre :

Lancement du Prix Vue sur Vigne http://www.winetourisminfrance.com/fr/magazine/2236_lancement_du_prix_vue_sur_vigne.htm

Page facebook Vue sur Vigne https://www.facebook.com/Vuesurvigne/

(1) Qu’il s’agisse de la montagne de Corton ou du piton de Sancerre, des coteaux de Savennières ou de la Côte des Bar, des terrasses de Côte-Rôtie ou des pentes des Abymes ou de Bonnezeaux, du cirque de collines de Bandol ou de l’amphithéâtre du Minervois, des vallées de la Garonne ou du Lot…
(2) Stendhal, Vie de Henri Brulard
(3) Winetourisminfrance.com, média pionnier de l’œnotourisme ; Teloa, bureau d’ingénierie environnementale et d’ingénierie touristique ; l’Université du Vin de Suze-la-Rousse ; l’AEFO (Association Européenne de Formation à l’Œnotourisme) ; avec le relais des acteurs touristiques et viticoles

Photo 3 : Pierrick Bourgault. Ce photographe vient de publier un ouvrage sur les problématiques actuelles du selfie et du tout photo aux éditions Dunod. Son titre ? No Photo...

 

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